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sept heures, il est relevé par Montholon qui quitte à deux heures, où Marchand prend la veille.

L’Empereur est convaincu que sa mort est prochaine. Il sait qu’une comète doit apparaître. « Ah ! dit-il, ma mort sera marquée comme celle de César. » Il refuse la proposition que lui fait Arnott de le transférer dans le New-Longwood, la maison que Lowe a mis cinq années à construire, et qui n’est terminée, à la veille de la mort, que pour donner le change à la postérité, et habiller d’un confort mensonger, cette mort dans une bicoque délabrée. « Docteur, dit-il à Arnott, il est trop tard. J’ai fait dire à votre gouverneur, lorsqu’il m’a fait soumettre le plan de cette maison, qu’il fallait cinq ans pour la bâtir, et qu’alors j’aurais besoin d’un tombeau. Vous voyez : on vient m’en offrir les clefs, et c’est fini de moi. » Antommarchi s’oppose d’ailleurs à un tel dérangement qui, dit-il, pourrait avoir de graves inconvénients. On y renonce, mais, plus tard, on passera le lit dans le salon où le malade aura plus d’air.

Le dénouement approche. Le 3 avril, selon Marchand, dont la présence continuelle rend les observations singulièrement importantes, « le docteur Arnott, en partant de chez Sa Majesté, examina les vomissements à matière noirâtre, qui lui firent dire qu’il y avait ulcération dans l’estomac. Il en prévint le grand-maréchal et le comte de Montholon, prescrivit diverses ordonnances, mais l’Empereur resta aussi rebelle à la médecine avec eux qu’avec le docteur Antommarchi [1]. » Napoléon en effet, ne prenait plus la peine de discuter, Arnott lui tâtait le pouls, lui demandait comment il se trouvait. « Pas bien, docteur, répondait-il un jour, je vais rendre à la terre un reste de vie qu’il importe tant aux rois d’avoir ; » et, comme Arnott insistait pour qu’il fit des remèdes : « Docteur, c’est bien, nous en ferons : quelle maladie règne dans vos hôpitaux ? »

Les nuits étaient très pénibles : à certaines, la transpiration était telle, qu’il fallait changer l’Empereur cinq ou six fois de flanelle. Dans l’après-midi, une détente permettait qu’il fit sa toilette, se levât, passât une robe de chambre, s’assît dans un fauteuil, devant la fenêtre ouverte. Il envoyait alors Bertrand ou Montholon cueillir, dans le jardin, une fleur qu’il tenait dans ses mains, et dont il aspirait l’odeur voluptueusement. Autrement,

  1. Selon Arnott et Antommarchi, ces vomissements noirs n’auraient apparu que le 25 ou le 26.