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la fatigue augmentait, l’alimentation était presque nulle ; l’atonie continuelle.

Le 15 mars, le jour où l’abbé Buonavita, incapable de supporter plus longtemps le séjour dans l’île, repartait pour l’Europe, l’Empereur, qui lui avait donné ses instructions sur ce qu’il aurait à dire à Madame, avait consenti à sortir ; mais lorsque, habillé, il s’était laissé conduire devant la voiture, il n’avait pu y monter ; il était rentré, secoué par un frisson glacial. On le mit au lit, on le couvrit de deux couvertures ; Noverraz et Saint-Denis se relayèrent pour changer les serviettes que Marchand posait sur ses pieds. Il se plaignait d’avoir le ventre pâle ; on y mit aussi des serviettes ; la moiteur arriva, puis des sueurs telles qu’il fallut plusieurs fois le changer de flanelle. Il congédia le docteur, envoya Montholon déjeuner, se fit lire par Marchand les campagnes de Dumouriez. Il en causa avec Bertrand lorsque celui-ci vint pour sa visite de l’après-midi. Plus tard, il voulut se lever, aller jusqu’à son chêne, s’asseoir à l’ombre pendant qu’on aérerait sa chambre. A peine y était-il que se déclara une nouvelle crise. Quand le médecin rentra, après avoir conduit Buonavita à Jamestown, l’accès était passé. La nuit fut assez bonne. Au matin, l’Empereur voulut sortir ; il prit un biscuit et un verre de Malaga, et se fit conduire à son banc. A peine y était-il qu’il rendit ce qu’il avait pris, et qu’une crise se déclara comme la veille ; ses membres étaient glacés, ses traits décomposés. Désormais, chaque jour, tel sera le bulletin. Dans cette chambre où les rats sont revenus en masse, les cousins qui ont envahi Longwood promènent l’agacement de leur susurrement et la cuisson de leurs piqûres. Il faut, pour les dérouter, toute sorte d’artifices qui ne réussissent guère.

Et au supplice des cousins s’ajoute celui du médecin. Sans être plus exact ni plus assidu, il a imaginé de donner des remèdes. On ne sait sur quelles indications il a prescrit l’émétique. L’Empereur refuse d’abord et ne se rend que sur l’insistance de son entourage. Il prend de l’émétique en deux doses ; les efforts qu’il fait l’épuisent sans résultat. Il passe la nuit dans son fauteuil, sans lumière, de crainte des cousins. Est-ce un résultat de la médication ? la journée du 23 est un peu plus calme. Antommarchi en profite pour revenir à l’émétique ; l’Empereur consent, mais les efforts qu’il fait pour vomir le rebutent. Il refuse de prendre quoi que ce soit que prescrive son médecin,