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« Je ne vois pas dans la Religion le mystère de l’Incarnation, mais le mystère de l’Ordre social, » et il ajoutait : « Elle rattache au ciel une idée d’égalité qui empêche que le riche ne soit massacré par le pauvre. » Il reconnaissait la profondeur de son influence sur les Français lorsqu’il disait : « La religion catholique est celle de notre patrie ; celle dans laquelle nous sommes nés. » Argument suprême : la tradition engendre le traditionalisme, et c’est à son avis l’argument par excellence.

Napoléon n’avait jamais fait profession d’incrédulité. Il avait l’horreur de l’athéisme, même une sorte de crainte superstitieuse. Il était déiste à la façon de Rousseau, dont il ne lui restait guère que cette opinion, de toutes celles qui, jadis, l’avaient entraîné à la suite du philosophe de Genève. Toutefois, ne faudrait-il pas s’y fier, et quand il rencontre Julie et Saint-Preux, ne sent-il pas en son cœur refleurir la pervenche ? Il a, politiquement et moralement, l’horreur de l’athéisme : « c’est la maladie à craindre, » a-t-il dit. Il ne répugne donc pas à la solution catholique. Son atavisme est uniquement catholique. Dans les deux lignes de sa famille, il a des prêtres, des prêtres à la Corse, attachés autant à leur pays qu’à la formule romaine, prêtres séculiers qui prêtent serment à la Constitution et qui s’opposent aux Réguliers.

Sa mère, qui était pieuse, qui est devenue dévote, n’a eu, du côté religieux, aucune action sur ses filles ; elle a fort bien laissé Napoléon, Elisa et Caroline, vivre avec Joséphine, Bacciochi et Murat, sans avoir passé devant un prêtre : mais c’est elle qui a appris à Napoléon ses oraisons, qui lui a enseigné ce signe de croix, qu’en toute occasion, comme machinalement, il réitère. Il a eu une enfance catholique, une éducation catholique. Qui dira par quels liens mystérieux et secrets, l’homme reste attaché à la religion des ancêtres, à la religion dont, avec ses premières paroles, il a appris à balbutier les prières ? Par quels impénétrables mobiles, à l’heure où il sent la vie lui manquer, réclame-t-il les pratiques qui ont apporté à ses ancêtres, tremblants de rouler à l’abîme, le repos et la paix ?

Napoléon n’a pas seulement pratiqué la formule religieuse dans laquelle il est né, dans laquelle il a été élevé ; il l’a choisie. Il l’a estimée préférable à celle que tant de gens si hardis et si remuants ont prétendu imposer à lui, et par lui à la France ; il l’a élue, il l’a restaurée, il a assuré le sort matériel de ses