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non sans raison, des talents qu’on vendait à l’Université de Pise ; il avait vu, dans les journaux, la carrière qu’avait suivie l’homme qu’on lui envoyait comme praticien. Il avait appris qu’arrivé la veille, cet individu avait accepté de dîner chez Hudson Lowe. Il devait s’étonner qu’Antommarchi se présentât sans un mot d’introduction d’aucun des siens. Il refusa donc d’abord de le recevoir, et il chargea le grand maréchal de lui faire subir un interrogatoire où il rendît compte des mobiles auxquels il avait obéi, expliquât les études qu’il avait faites, fournît sur lui-même des renseignements détaillés. Ensuite l’Empereur lui-même le reçut ; il le questionna sur sa famille, son pays, ses travaux, et parut assez satisfait de ses réponses, quoiqu’il le trouvât jeune et présomptueux. Le 22, il le fit informer par le comte Bertrand qu’il l’agréait comme son chirurgien avec un appointement de 9 000 francs par an, un Chinois pour son service, place à table avec les deux aumôniers, et le logement qu’avait occupé O’Meara,

Dès sa première rencontre avec Hudson Lowe, Antommarchi a été convaincu que l’Empereur n’est pas malade. Alors, chaque fois que l’Empereur dit qu’il souffre, son médecin prend un air entendu, et sourit en connaisseur ; il n’a garde de le contrarier, mais il sait ce que parler veut dire, et ce n’est pas lui qu’on prend pour dupe. Il ne croit pas à la maladie que, d’ailleurs, il est incapable de reconnaître et encore plus de soulager. Aussi n’est-il jamais à Longwood quand on a besoin de lui. Quelque temps après son arrivée, il a fait une maladie dont il s’est rétabli assez promptement. L’Empereur l’a engagé à faire dans l’île quelques courses à cheval pour se distraire, et des courses à pied en allant au camp visiter les malades, et y connaître les affections qui s’y développent. Il tire de ces prétendues études d’excellents prétextes pour ne pas quitter Jamestown, où sa conduite fait scandale. En révolte constante contre les règlements, il se plaint parce qu’il est accompagné, parce qu’à la nuit close on l’a arrêté sur la route : tout lui est prétexte à récriminations. Sa vanité, exaltée au point de sembler délirante, le rend la risée des Anglais. Il invite à dîner les médecins qui résident dans l’île, et comme ils refusent, il se plaint au gouverneur. Ses fautes de tact et d’éducation rivalisent avec ses fautes professionnelles ; il se présente en costume du matin, en pantalon et bottes pour la visite chez l’Empereur. Devant l’Empereur, il