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la visionnaire allemande qui faisait part de ses lumières au cardinal et à Madame, ne précisait pas ; mais, quant au fait, nul ne devait en douter, et, là-dessus, vivaient Fesch, Madame et Colonna. Quant à la voyante, elle en vivait.

Et c’était pourquoi, à la lettre écrite par Bertrand au nom de l’Empereur, le 18 mars 1818, et parvenue à Rome en septembre, le cardinal ne s’était point pressé de donner une réponse. A la vérité, il avait sous la main Foureau qui, depuis 1815, attendait l’occasion de rejoindre son maître ; pour qui s’employaient Las Cases, Planat, la reine de Westphalie et tous les membres de la famille, Foureau s’était déjà mis en rapport avec O’Meara, et lui avait demandé communication de son journal, en vue de prendre l’avis du « Nestor de la médecine, » le vénérable J. P. Franck que l’Empereur avait consulté à Vienne lors de sa maladie de 1809, et qui faisait autorité en Europe. Foureau avait cet avantage de lire et de traduire l’anglais, ce qui était inappréciable à Longwood, mais le choix du cardinal était fait. « Dans l’incertitude de trouver un chirurgien français, écrivait-il à Las Cases, nous avons décidé à se rendre à Sainte-Hélène un chirurgien corse qui a été le premier élève du célèbre Mascagni, professeur à Florence... Ce jeune homme a sacrifié pour l’honneur de l’Empereur les intérêts de sa famille et... nous pouvons compter sur son zèle et sur son inviolable attachement. »

« La petite caravane, » comme disait Fesch, qui devait porter à l’Empereur la science et la foi, se composait de trois Corses : ce chirurgien ; un vieux prêtre qui, lorsque l’apoplexie ne le rendait pas muet, bredouillait alternativement en espagnol et en italien ses campagnes ecclésiastiques au Mexique, et qui ignorait tout ce qui s’était passé ailleurs ; un pâtre corse qui avait étudié pour être prêtre, mais qui ne savait pas un mot de la langue française, pas plus d’ailleurs que de l’histoire ancienne ou moderne, de la géographie, ni de quoi que ce fût. On avait assuré qu’il avait des connaissances en médecine : cela était hardi. Mais le pire de tous, c’était ce terrible homme, Antommarchi, affolé de vanité, d’ambition et de lucre, familier, audacieux, toujours hors de propos, se tenant égal à tous, sinon supérieur, avec une étonnante idée de soi, que complétaient une ignorance tranquille et un imperturbable aplomb.

L’Empereur ne l’agréa point du premier coup. Il se méfiait,