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confiance dans la nature humaine, de ce besoin d’autonomie, qui était le fond de sa foi politique, et de cette croyance que la République exécuterait ce que les autres régimes n’ont pas pu entreprendre.

Alors M. Chevrillon est amené à parcourir l’œuvre vaste et variée de son prédécesseur. Il l’a traversée comme une galerie de portraits, s’arrêtant devant l’un ou l’autre. Mais tout à coup sa voix, jusque-là égale et un peu blanche, se mouille et s’altère. « Est-ce bien le même artiste, murmure-t-il, qui, pour rendre les masques et visages de l’ancienne France, a jeté d’une main légère sanguines et nuageux pastels ? » Et voici que la figure d’Aimée de Coigny passe devant nos yeux. Chemin faisant, M. Chevrillon définit le style d’Etienne Lamy, analyse sa doctrine, décrit le mouvement calme de sa vie et le conduit doucement à la mort. Il rappelle une belle parole que cet homme de bien dit dans ses derniers jours : « Mon enfant, ne pleurez pas ; les sentiments personnels ne comptent pas. Dans la vie il n’y a que les grands devoirs. »

Ainsi s’acheva ce discours, qui atteint à l’éloquence par les plus fortes qualités, par le sérieux, la profondeur et le vrai.

Celui de M. de la Gorce ne le céda pas à celui de M. Chevrillon. L’historien du Second Empire se montre, une fois de plus, homme d’étude excellent. Penché sur ses papiers, comme un archiviste sur des documents, il oublia le monde extérieur. C’est la première qualité d’un érudit. M. de la Gorce la montre au plus haut degré. Derrière la page déployée, on apercevait un coin du front, un gazon de cheveux ras, un sourcil que l’attention a rendu circonflexe, un regard pénétrant sous le lorgnon, et des traits concentrés autour d’un nez fort et carré.

M. Chevrillon ayant beaucoup voyagé, M. de la Gorce a fait le portrait du « vrai voyageur. » Il a dit à ce sujet des choses très sensées : qu’il fallait avoir une bonne santé, posséder le don de l’observation et se défier de son imagination. Mais on n’évoque pas impunément cette folle ; à peine M. de la Gorce l’eut-il nommée, et avec quelle défiance ! qu’elle accourut, le toucha d’un rayon et lui inspira un tour libre, galant et frivole. Le voyageur, dit-il, se conduira vis-à-vis de l’imagination « comme une coquette vis-à-vis d’un amant que tour à tour on appelle ou l’on renvoie ; il se parera d’elle pour revêtir de séductions le vrai, puis la congédiera avec une remarquable ingratitude dès qu’elle embellira le réel au point de le farder. »

Ayant ainsi défini le voyageur, M. de la Gorce suivit M. Chevrillon et nous guida, d’une allure égale, à travers le vaste monde. Il adopta le procédé de l’énumération, laissant tomber un à un les noms des