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douleurs des hommes, se tue à force de désespoir. Elle l’a trompé. Elle vient de le tromper et cependant lui murmure à l’oreille les mots les plus câlins. « Et elle était sincère ! » s’écrie M. Gaston Chérau, avec une indignation qui est sincère également. Lors de ses premières étourderies, et quand elle devrait arranger sa vie sérieuse, elle n’a en tête que projets de dissipation mondaine : « Voilà à quoi elle pensait ! » s’écrie M. Gaston Chérau, qui sait le châtiment que la destinée, de loin, prépare à tant de frivolité. Il le sait, elle ne le sait pas : il est épouvanté, frissonne d’horreur et de pitié, voudrait que Valentine fût sage. Il la réprimande, elle ne l’écoute pas. Il oublie que, la destinée, c’est lui et que, le châtiment, c’est lui au bout du compte qui le prépare. Elle lui fait beaucoup de chagrin, l’apitoie : il l’aime, il n’en sera pas moins sévère. Il ne l’entraînera pas moins par les pires chemins de la misère et de la honte. Ah ! la méchante, et la vilaine, et si charmante !

L’intervention de l’auteur et, pour ainsi dire, son intrusion dans le récit n’est pas conforme à l’esthétique réaliste, qui veut que l’auteur soit absent de son œuvre. L’intervention de M. Gaston Chérau dans ses romans me plaît beaucoup : elle est involontaire, elle est spontanée, elle prouve que cet écrivain croit à ses fictions, à la vérité de ses personnages et à la réalité de l’anecdote qu’il leur invente. Le lecteur cède à la même illusion. L’émoi de l’auteur et celui du lecteur sont pareils. Et c’est un bon signe, où l’on reconnaît le don principal du romancier.

La plupart des romanciers qui créent des personnages très vivants les font à leur ressemblance. Les personnages de M. Gaston Chérau sont de toutes sortes ; leur diversité prouve qu’ils ne ressemblent pas à M. Gaston Chérau. Il a encore ce don du romancier : il crée des êtres qui ont leur individualité complète.

Il sait organiser leur conflit, leur mésentente, d’où naît le drame. Il les a pourvus de passions qui les lancent les uns vers les autres, ou les uns contre les autres, pour l’amour et pour la haine. Le drame naît de leurs rencontres et de leurs conflits. Il ne laisse pas beaucoup d’influence au hasard : et c’est ainsi que ses romans les plus riches en épisodes surprenants ont une qualité que n’ont pas les romans d’aventures, Quand Valentine a commis ses plus terribles imprudences, « elle se dit que la fatalité serait là pour s’occuper d’elle. » Et qu’est-ce donc que la fatalité ? Le hasard, sinon la providence. Mais le hasard n’est que l’ensemble des causes. M. Gaston Chérau examine les causes : il les trouve dans le caractère des gens. Et j’avoue qu’il