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Son héroïne plus récente, Valentine Pacquault, lorsqu’elle a trompé son mari et lorsque son mari s’est tué, tombe de chute en chute au plus bas degré. Les chutes de Valentine Pacquault sont d’une ignominie telle et si entassée qu’il ne s’agit plus de plaindre Valentine, mais d’en avoir la nausée.

Que voulez-vous ? répond un réaliste. C’est la vie. Je peins la vie.

Vous la peignez à votre guise, et qui n’est pas drôle ! Et vous êtes un réaliste, mais qui parfois nous en impose. Les jugements qu’on porte sur la vie dépendent de la vie et dépendent de vous. Il y a, dans votre pessimisme, de la malveillance ; et, dès que nous est apparue votre malveillance, nous vous savons mauvais gré d’avoir choisi, pour opinion définitive et pour enseignement, l’uniforme chagrin. Que voulez-vous, à votre tour ? En somme, nous nous défendons et, contre votre chagrin, défendons notre naïveté.

La mère de Champi-Tortu, écrivant à son ignoble mari, lui exprime des sentiments qui ne sont pas au juste les siens et qui planent plus haut que les siens : ces sentiments « étaient comme ceux des personnages de Corneille, qui sont des monstres dans le genre du courage, de la bonté, de la probité, qui ne s’embarrassent d’aucune imperfection, qui sont faux, du moins qui exaltent. L’exaltation tombée, quand on reprend pied sur le vrai sol de la terre, on ne peut plus espérer les atteindre... » Ah ! Corneille n’est pas un réaliste. Et La Bruyère a dit que Corneille avait peint les hommes tels qu’ils devraient être. Le réaliste prétend les peindre tels qu’ils sont et les peint tels qu’ils ne seraient pas sans amener la fin du monde.

M. Gaston Chérau écrit, à la première page de Valentine Pacquault : « Vous verrez promptement qu’il ne s’agit ici que de simples hommes, et non de héros. » Ce ne sont pas des « monstres » cornéliens : ce sont, quelques-uns, des monstres d’une autre sorte et moins recommandable. Et ce ne sont pas tous des monstres : mais pour le moins de pauvres gens et qui n’ont jamais de chance et qui, dans le malheur, sont lamentables.

Le pessimisme conduit M. Gaston Chérau à une philosophie, que d’ailleurs il n’a point exposée tout au long, mais dont il a formulé quelques aphorismes, et qui est l’âme ardente et un peu trouble de son œuvre.

La prison de verre, suite de Champi-Tortu, porte cette épigraphe : « Et puis, quoi qu’en pensent, — ou qu’en disent, — ceux qui veulent que dans la vie il n’y ait que l’amour qui importe, il n’y a pas que l’amour : il y a les lois des hommes, les mœurs des hommes,