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droit de le dire, ne fait aucun « sacrifice d’aucune sorte » : il y a, dans la première nouvelle, un inceste au commencement, et un inceste à la fin. La pauvre Hortense Massé, fille d’un ignoble paysan, son aventure a de l’analogie avec l’aventure d’Œdipe ; mais son aventure se double d’une façon que j’en ferai à mon lecteur le sacrifice, n’ayant pas juré de renoncer à toute vergogne au profit d’une vérité aussi douteuse qu’une autre… « Mais il faut que je vous écrive son histoire ; elle est triste et, si vous en riez, c’est que je l’aurai mal campée, ou que vous avez l’âme bien noire ! » Cette histoire-là est d’un pauvre perdreau que le chasseur a fourré, encore vivant, dans son carnier : non, vous n’allez pas rire de ce perdreau. Et vous n’avez point l’âme si noire ; mais, lui, M. Chérau, c’est l’imagination qu’il a terriblement noire.

Non, vous n’allez pas rire : M. Chérau vous le défend ; ne riez pas. Encore faut-il que M. Chérau ne vous laisse pas trop voir son projet malin de vous chagriner. Il vous raconte l’aventure de Sabette, une bergère la plus laide du canton, « si noire de peau qu’à cinq ans, au jour tombant, on avait de la peine à découvrir sa figure, » si mal tournée que c’était « à décourager ses chiens de la regarder. » Chimérique, en outre : une vieille folle qui, un beau jour, croit que Fifî l’Esguarrat l’aime. On le lui fait croire et l’on organise une intrigue plaisante où elle est dupée. Quand elle apprend que son amour ne fut que dérision, la Sabette se jette à l’eau. Alors, Fifi l’Esguarrat, qui ne savait pas que la Sabette l’eût aimé, sanglote et dit : « Moi… je l’aurais bien épousée ! » Voilà ce que dit l’Esguarrat. Et M. Gaston Chérau : « Vous riez ? C’est vrai qu’il ne s’agit pas d’un drame mondain et que les héros sont bien laids, mais chacun d’eux avait en lui un cœur si pur et si beau ! Vous vous attendiez à une histoire gaie ? Voilà ! on vous embarque dans un sentier et, à l’improviste, par le flanc droit ! ou vous fait tourner court. » Eh ! nous n’avions pas envie de rire : à la 241e page d’un livre de M. Gaston Chérau, l’on n’a plus même l’idée de sourire. Mais, lui, n’a-t-il pas l’air de se moquer ? Il ne se moque pas de ses tristes héros. De son lecteur ? Probablement. De son lecteur qu’il a soudain soupçonné de futilité bourgeoise.

M. Chérau nous raconte que Sébastien pêchait à la ligne, quand on lui vint crier : « Sébastien, ta femme est morte ! » Sébastien n’y crut pas, faute d’y songer et parce qu’un barbillon mordait. Ce fut auprès du lit de la morte que Sébastien se rendit à l’évidence. « Chère Louise !… » Et il se rappelle que Louise ne voulait pas qu’il se servît de son fusil pour la chasse. Il s’attendrit et ordonne que le