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de ce paysage toscan qui demeura jusqu’à trente ans l’horizon de sa vie et dont la muette leçon lui enseigna la mesure. Dès les premières pages de son premier roman, je trouve ce tableau exquis d’une chose intraduisible, le podere où l’artiste a passé une partie de son enfance, — le podere, le petit bien aux portes de la ville, et dont le fruit suffit à la subsistance d’une famille :


Le podere, bien que petit et avec ses bâtisses modestes, était beau ; on y respirait une douceur qui invitait à y demeurer ; une file de cinq cyprès derrière le mur bas de l’aire ; et, plus loin, tout le reste en oliviers et en verger. On en faisait le tour du regard deux ou trois fois, et on se disait : Plus grand, ce serait moins aimable.


Dans ce peu de mots tient tout un art. Avec quelle tendresse encore, en une demi-ligne, l’artiste exprime la grâce de ce paysage qui fait l’enchantement d’un voyage de Sienne à Florence, — de cette succession de collines « dont chacune est plus douce que l’autre ! »

Mais ce serait faire tort à Tozzi que de prendre ses livres pour un album d’eaux-fortes. Vous êtes-vous parfois demandé ce que pouvait être l’existence de ces villes que nous appelons mortes, et où notre curiosité va chercher le décor du passé ? Vous êtes-vous jamais inquiété des gens que vous rencontriez dans les rues de ces cités jadis glorieuses, devenues aujourd’hui des sous-préfectures endormies et un peu déguenillées ? Vous êtes-vous occupé de savoir quels peuvent être les intérêts, les idées, les passions de ce peuple qu’on voit errer dans des lieux pleins d’histoire et que nous sommes tentés de prendre pour des ombres ? Ce sont des questions que le touriste ne se fait guère. Il court au musée, il visite une église ou un hôtel de ville, il admire quelques fresques ou quelques vieux tableaux, comme on se promène un moment dans une boutique d’antiquaire. Pour la plupart des forestieri qui en ont parlé (y compris les Italiens), Sienne n’est guère qu’un grand bibelot. C’est ainsi que l’héroïne de M. d’Annunzio, la Siennoise Marie Ferrés d’Il Piacere, s’imagine sa patrie : « Ce que je vois toujours, ce sont les femmes des Primitifs, les inoubliables têtes de Saintes et de Vierges, celles qui, dans la vieille Sienne, souriaient à mon enfance du haut des fresques de Taddeo et de Simone di Martino… »