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— Je vous accorde qu’il est patriote et qu’il a de la volonté. Mais il est trop inférieur à sa tâche. Ce n’est pas un chef, c’est une icône. Or, nous avons besoin d’un chef.

Il termine par un tableau trop exact de l’armée :

— Elle est admirable encore d’héroïsme et d’abnégation ; mais elle ne croit plus à la victoire ; elle se sait immolée d’avance, comme un troupeau qu’on mène à la boucherie. Un jour, bientôt peut-être, ce sera le découragement total, la résignation passive ; elle reculera indéfiniment, elle ne luttera plus, elle ne résistera plus. Ce jour-là, notre parti allemand triomphera. Nous serons obligés de faire la paix... et quelle paix !

Je lui objecte que la situation militaire, si mauvaise qu’elle soit, est loin d’être désespérée ; que. le mouvement national, dont la Douma vient de prendre la direction, est fait pour inspirer confiance, et qu’avec de la méthode, de la persévérance, de l’activité, toutes les fautes passées peuvent encore être réparées.

— Non ! s’exclame-t-il d’un air sombre et violent, non ! La Douma n’est pas de taille à lutter contre les forces officielles ou occultes dont dispose le parti allemand. Je vous parie qu’avant deux mois elle sera réduite à l’impuissance ou dissoute. C’est tout le système gouvernemental qu’il faut changer. Notre dernière chance de salut est dans un coup d’État national... La situation, monsieur l’ambassadeur, est plus grave que vous ne croyez. Savez-vous ce que me disait, il y a une heure, le chef des octobristes, le président du Comité central des industriels, Alexandre-Ivanowitch Goutchkow, un homme à qui vous ne refuserez assurément ni la clairvoyance, ni le courage ? Eh bien ! Il me disait, avec des larmes dans les yeux : La Russie est perdue. Il n’y a plus d’espoir !



Samedi, 14 août 1915.

La séance de la Douma a été remplie aujourd’hui par un grave et pathétique débat.

On discutait l’institution d’un Comité des Munitions qui serait superposé au Ministère de la Guerre. La discussion, s’élargissant peu à peu, a tourné au procès du régime.

Un des orateurs les plus vifs du parti « cadet, » Adjémow, député de Nowotscherkask, a mis le feu aux poudres : « Dès