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tout le dynamisme national ; un réveil sublime de toutes les énergies slaves... Après quelques jours de troubles inévitables, mettons même un mois de désordre et de paralysie, la Russie se dresserait avec une grandeur que vous ne soupçonnez pas. Vous verriez alors ce qu’il y a de ressources morales dans le peuple russe ! Il renferme en lui des réserves incalculables de bravoure, d’enthousiasme, de générosité. C’est le plus grand foyer d’idéalisme qui soit au monde !

— Je n’en doute pas ; mais le peuple russe porte aussi en lui des ferments terribles de décomposition sociale et de dislocation nationale... Vous m’affirmez qu’une révolution entraînerait tout au plus un mois de désordre et de paralysie. Qu’en savez-vous ? Un de vos compatriotes, un des plus intelligents et des plus sagaces que je connaisse, me confiait l’autre jour l’effroi que lui cause la menace d’une révolution : « Chez nous, me disait-il, la révolution ne peut être que destructive et dévastatrice. Si Dieu ne nous en préserve, elle sera aussi épouvantable qu’interminable. Dix ans d’anarchie !... » Et il justifiait sa prévision par des arguments d’ordre positif et psychologique qui m’ont paru convaincants. Vous comprendrez qu’à la lueur de ce pronostic, je me méfie de votre révolution soi-disant nationale.

Il n’en persiste pas moins à me vanter les effets magiques de régénération qu’il attend d’un soulèvement populaire.

— C’est en haut, dit-il, c’est à la tête qu’il faudrait d’abord frapper. L’Empereur pourrait être maintenu sur le trône ; car, s’il manque de volonté, il est au fond assez patriote. Mais l’Impératrice et sa sœur la Grande-Duchesse Élisabeth, l’abbesse de Moscou, devraient être incarcérées dans un couvent de l’Oural, comme on eût fait sous nos grands Tsars de jadis. Puis toute la Cour de Potsdam, toute la clique des barons baltes, toute la camarilla de la Wyroubow et de Raspoutine, devraient être reléguées au fond de la Sibérie. Enfin, le Grand-Duc Nicolas-Nicolaïéwitch devrait abandonner immédiatement ses fonctions de généralissime...

— Le Grand-Duc Nicolas-Nicolaïéwitch !... Vous suspectez son patriotisme ? Vous ne le jugez pas assez russe, assez antiallemand ? Que vous faut-il donc ?... Et moi qui me plaisais à voir en lui le champion de la Sainte-Russie orthodoxe, autocratique et nationaliste !