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Dimanche, 20 juin 1915.

Le réveil des énergies nationales s’est affirmé hier, à Moscou, par une manifestation saisissante. L’Union des Zemstvo et l’Union des Municipalités s’y sont réunies en congrès. Le prince Lvow, qui présidait, a mis en pleine lumière l’impuissance de l’administration à mobiliser les ressources du pays pour le service de l’armée : « Le problème qui se pose devant la Russie, a-t-il déclaré, dépasse de beaucoup les capacités de notre bureaucratie. La solution exige l’effort du pays tout entier... Après dix mois de guerre, nous ne sommes pas encore mobilisés. Toute la Russie doit devenir une vaste organisation militaire, un immense arsenal des armées... »

Un programme pratique a été aussitôt adopté. Voilà enfin la Russie dans la bonne voie !



Lundi, 21 juin 1915.

A dix heures et demie, je retourne à la cathédrale des Saints-Pierre-et-Paul, où j’assiste aux obsèques solennelles du Grand-Duc Constantin-Constantinowitch.

Épuisée par la cérémonie d’avant-hier, l’Impératrice Alexandra-Féodorowna n’a pu venir. L’Impératrice douairière et la Grande-Duchesse Marie-Pavlowna triomphent, seules au premier rang, à côté de l’Empereur.

L’office funèbre déroule, durant deux heures de suite, avec un luxe prodigieux, ses pompes grandioses et pathétiques.

L’Empereur est intéressant à observer. Pas une minute d’indifférence ou d’inattention ; un recueillement naturel et profond. Par instant, il ferme à demi les yeux ; quand il les rouvre, son regard semble éclairé d’une lumière intérieure.

... Cependant l’interminable liturgie s’achève : on distribue des cierges aux assistants, comme symbole des clartés éternelles qui vont se découvrir à l’âme du défunt. Toute l’église rayonne alors d’une splendeur éblouissante, qui fait scintiller merveilleusement l’or et les pierreries de l’iconostase. Immobile, la physionomie concentrée, les prunelles fixes, l’Empereur regarde loin devant lui, vers un but invisible, au delà des horizons terrestres, au delà de notre monde illusoire...