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pompe à la cathédrale des Saints-Pierre-et-Paul, dans la forteresse, qui est à la fois la Bastille et le Saint-Denis des Romanow.

L’Empereur et tous les Grands-Ducs suivent à pied le char funèbre. Du portique de l’église jusqu’au catafalque érigé devant l’iconostase, ils portent à bras l’énorme cercueil.

La cérémonie, n’étant que le prélude des obsèques solennelles, est relativement courte pour la liturgie orthodoxe ; elle ne dure cependant pas moins d’une heure.

L’Empereur, l’Impératrice douairière, l’Impératrice régnante, les Grands-Ducs, les Grandes-Duchesses, tous les princes et princesses de la famille impériale sont là, debout, à la droite du catafalque ; le corps diplomatique est groupé à côté d’eux.

Je me trouve ainsi à quelques pas de l’Empereur et j’ai tout loisir de l’observer. Depuis trois mois, que je ne l’ai vu, il a sensiblement changé : les cheveux, plus clairsemés, ont grisonné par places ; la figure a maigri ; le regard est grave et lointain.

A sa gauche, l’Impératrice douairière se tient immobile, dressant la tête dans une attitude majestueuse et hiératique dont elle ne se relâche pas une minute, malgré ses soixante-huit ans. Près d’elle, l’Impératrice Alexandra-Féodorowna se raidit, se crispe ; par instant, son visage marbré devient blême, et sa respiration inégale, saccadée, soulève le haut de sa poitrine. Immédiatement après et sur le même rang, la Grande-Duchesse Marie-Pavlowna se dresse avec la même fixité, la même prestance que sa belle-sœur, l’Impératrice douairière. Les quatre filles de l’Empereur s’alignent ensuite ; l’aînée, Olga, glisse continuellement vers sa mère un regard inquiet.

Par une dérogation aux usages de l’Église orthodoxe, trois fauteuils ont été placés derrière les deux Impératrices et la Grande-Duchesse Marie-Pavlowna. Quatre fois, l’Impératrice Alexandra, pour qui c’est un supplice de rester debout, est obligée de s’asseoir. Chaque fois, elle porte la main à ses yeux, comme pour s’excuser de sa faiblesse. Loin de fléchir, ses deux