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ministres. Quant à la poursuite de la guerre, Nicolas II s’est exprimé avec une violence qu’on ne lui connaissait pas : « Faire la paix actuellement, ce serait à la fois le déshonneur et la révolution. Voilà ce qu’on ose me proposer !... » L’Impératrice n’est pas moins énergique à déclarer que, si la Russie abandonnait aujourd’hui ses alliés, elle se couvrirait d’une honte éternelle ; mais elle conjure l’Empereur de ne faire aucune concession au parlementarisme et elle lui répète : « Souvenez-vous, plus que jamais, que vous êtes Autocrate par l’onction divine !... Dieu ne vous pardonnerait pas de manquer au rôle qu’il vous a confié ici-bas !... »



Vendredi, 18 juin 1915.

En nous retrouvant ce matin, Buchanan et moi, au ministère des Affaires étrangères, nous avons la même idée :

— C’est aujourd’hui le centenaire de Waterloo !

Mais l’heure n’est pas aux ironiques plaisirs des rapprochements historiques : nous venons en effet de recevoir une importante nouvelle. Le ministre de l’Intérieur, Maklakow, est relevé de ses fonctions et remplacé par le prince Nicolas-Borissovitch Stcherbatow, administrateur général des Haras de l’Empire.

Sazonow exulte. La retraite de Maklakow démontre clairement que l’Empereur reste fidèle à la politique de l’Alliance et résolu à la poursuite de la guerre.

Quant au nouveau ministre de l’Intérieur, il a vécu très retiré jusqu’à ce jour ; mais Sazonow nous le représente comme un esprit modéré, judicieux et d’un patriotisme éprouvé.



Samedi, 19 juin 1915.

Le Grand-Duc Constantin-Constantinowitch, né en 1858, petit-fils de l’Empereur Nicolas, frère cadet de la reine douairière de Grèce et marié à la princesse Élisabeth de Saxe-Altenbourg, est mort avant-hier à Pavlowsk, où il menait une existence effacée [1].

Aujourd’hui, à six heures, le corps est transféré en grande

  1. Son père, le Grand-Duc Constantin-Nicolaïéwitch, né en 1827 et mort en 1892, joua un rôle important sous le règne d’Alexandre II. D’esprit ouvert et libéral, il contribua beaucoup à l’abolition du servage en 1861. Il s’efforça même d’entraîner son frère dans la voie des réformes constitutionnelles. Et l’on put croire un instant que le tsarisme, pratiqué par des hommes tels que Miloutine, Abaza, le prince Tcherkassky et Samarine, allait enfin évoluer vers la conception de l’État moderne. Mais le soulèvement de la Pologne en 1863, et l’apparition du nihilisme, quelques années plus tard, ruinèrent le crédit du Grand-Duc Constantin. Il s’adonna dès lors tout entier à ses fonctions du Grand-Amiral.