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avec elle une espérance de relèvement, de justice, d’amitié pour le peuple « assis à l’ombre de la mort. » Bientôt le projet de mission qu’il n’avait ni inspiré, ni hâté, sera abandonné, et tombera parmi les bonnes intentions politiques qui n’ont point trouvé d’homme fort pour les défendre. Mais, toute sa vie, l’officier, devenu prêtre, demeurera « à la disposition du Maroc ; » il s’établira, en 1901, presque à la frontière de cet Etat ; il notera, sur ses carnets, avec un bonheur qu’on devine, les visites de Marocains qu’il a reçues ; dans ses conversations, dans ses lettres, surtout dans sa prière où les infortunes de tant de nations trouveront place, il ne cessera de nommer le Maroc. Il se sentira, pour les tribus qu’il a visitées, pour le connu et l’inconnu de cette terre de sa jeunesse, une amitié renouvelée et grandissante. Car ce n’est plus seulement le géographe, l’artiste aux yeux clairs, le Français toujours songeant à la vocation de la France, qui aimera l’empire du Moghreb : ce sera le prêtre ému d’une compassion fraternelle, et qui écrira, un soir de décembre : « Je pense tant au Maroc, depuis quelque temps, à ce Maroc où dix millions d’habitants n’ont ni un prêtre, ni un autel ; où la nuit de Noël se passera sans messe et sans prière ! »


V. — LA CONVERSION

Les premiers mois, après le retour du Maroc, furent presque entièrement passés en Algérie. Charles de Foucauld ne commença pas tout de suite à composer et rédiger le livre dont il rapportait les éléments ; il vérifia ses notes, les déchiffra, s’il en était besoin, consulta ses amis, prépara, en somme, le travail qu’il devait faire, un peu plus tard, à Paris. Il fit bien quelques séjours en France, des tournées de visites et de revoir ; mais le « principal établissement, » les papiers, la bibliothèque, les habitudes, restèrent où ils étaient avant le grand voyage. Un moment, on put même croire que l’explorateur allait se marier en Algérie. Une jeune fille lui avait plu. Elle était de bonne famille, et il arrivait de bien loin. Il écrivit à Paris, où il trouva peu d’encouragement. J’ignore s’il était fort épris, et ce qui lui fut opposé. Mais lorsqu’il eut fait une nouvelle excursion en France, dans l’été de 1885, et habité quelque temps près de Bordeaux, chez sa tante Mme Moitessier, au château du