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de George et, prudemment, faisait en son nom des suppressions. Il lui écrit le 15 mars, par exemple : « La prudence… m’a fait un devoir de vous enlever deux ou trois mots et quatre lignes qui n’auraient pas passé certainement (car il craint de ne pouvoir échapper, lui, la Revue et La Quintinie, à « l’ennemi »). Il s’agit de l’endroit où vous dites : « Vous arriverez si vous êtes de bonne foi à embrasser la totalité du clergé dans un réseau de douleurs, de rages, de hontes ou de désespoirs. » « Après avoir parlé des vices immondes, on ne manquera pas, me disait notre avocat, de vous poursuivre sous l’accusation d’outrage public à la religion et au clergé. J’ai donc dû ôter ces lignes. »

Pourtant, dira-t-on, George, par le prince Jérôme, pouvait compter sur l’appui du Gouvernement ; l’Impératrice elle-même n’avait-elle pas donné à l’écrivain des marques de bonté ? Ecoutez George : « Nous sommes aux mains de la fantaisie gouvernementale du moment. » Elle conte qu’au temps de Daniella[1] elle reçut un avertissement dans la Presse, ce qui n’empêcha pas About de publier son livre, et le prince Napoléon de « dire quarante fois plus » qu’elle après coup.

Genève commença de s’émouvoir avant Paris, et Victor Cherbuliez, qui est en Suisse, écrit au Directeur de la Revue : « Mlle La Quintinie a fait une grande sensation à Genève… On dispute pour et contre avec acharnement, l’œuvre est puissante et remue bien des idées. Qu’en pense M. Octave Feuillet ? » — F. Buloz affirme qu’actuellement à Paris l’impression est la même, « on admire et on maudit. Il y a des catholiques qui foulent les numéros de la Revue aux pieds ; les autres la recherchent avec avidité…[2]. »


MARIE-LOUISE PAILLERON.

  1. La Daniella, 1857. La plus grande partie du dernier feuilleton, qui valut un avertissement au journal La Presse, n’a jamais été réimprimée. « Étude bibliographique sur les œuvres de George Sand par le vicomte S. de Lovenjoul, 1914.
  2. « Michelet a été très loin dans son livre du Prêtre, mais il faisait le plus souvent l’histoire des événements réels, se bornant à énoncer les inconvénients du confessionnal ; puis son livre a paru en 1845, sous un régime de presse libre… Il l’a fait reparaître en 1861, avec une préface nouvelle assez vive, et on n’a rien fait contre lui, il est vrai, mais c’était une réimpression, et la coalition clérico-gouvernementale n’était pas née. » (F. Buloz. Correspondance avec G. Sand, inédite. Collection S. de Lovenjoul. F. 63.)