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un grand bonheur, c’est d’être arrivée avec l’âge à des convictions aussi fortes, que mes doutes d’autrefois étaient profonds et douloureux. J’ai donc acheté mes croyances après des souffrances intérieures qui me donnent le droit de tenir à ce que je tiens. Vous êtes arrivé aussi, avec l’âge, à sentir qu’une Revue est une mission bien plus qu’une affaire, et bien qu’en politique, et en critique d’art, je ne sois pas toujours de l’avis de vos écrivains, je sais à présent qu’il y a un terrain commun où peuvent marcher tous ceux qui croient au progrès. L’Empire, en nous faisant reculer sous beaucoup de rapports, nous a fait avancer de beaucoup sur ce terrain-là. Il a grandement simplifié les questions pendantes, sachons en profiter. J’ai lu hier soir avec Manceau l’article de M. Laveleye[1]. Il est très vrai et très habilement fait. Malheureusement, quand on fait du roman, on ne peut pas être si prudent et si fort de décision calme. Le roman veut de la chaleur et de la passion… Quant au critique de Salambô[2], il est savant et ingénieux, mais il se trompe. Nul ne peut imposer arbitrairement son goût, et rien ne me persuadera que le silence qui remplit Mégare, ne soit pas une chose belle et grande. Il y a des appréciations personnelles qui ne se démontrent pas, ou qui tournent contre le démonstrateur… »

George reproche en général aussi à la critique de la Revue d’être « éreinteuse ; » la critique a hérité cela de Planche : que n’a-t-elle hérité encore de ses côtés enthousiastes ? George reconnaît de l’honnêteté à cette critique, de la science, du talent. C’est beaucoup, à coup sûr, ce n’est pas assez, il lui faudrait de la vie : « sa véritable mission, c’est de donner la vie, et non de l’ôter. »

Quant à Flaubert, il n’est pas son ami ; elle le connaît à peine, mais elle déclare que c’est un homme « original et fort, » pourtant rien n’est plus différent de sa manière que la sienne, et elle ne sait rien de ces questions d’école, si école il y a… « Ce qu’il y a de certain, depuis qu’il existe une littérature au monde, c’est qu’il y a un aspect réaliste, et un aspect idéaliste dans toutes choses. L’un vaut absolument autant que l’autre dans les mains de qui sait s’en servir, et tout le monde est

  1. La crise religieuse au XIXe siècle, par E. de Laveleye, Revue du 15 février 1863.
  2. Saint-René Taillandier.