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à des États nouveaux dont la configuration n’est point parfaite, dont les moyens d’existence sont précaires et limités et qui auront, sans doute, intérêt à chercher librement entre eux des relations économiques plus étroites et des appuis mutuels. Mais les Hongrois qui se lamentent sur l’instabilité de la nouvelle Europe centrale ressemblent à des gens qui, après avoir accumulé dans leur maison des matériaux explosifs et après l’avoir fait sauter eux-mêmes, s’étonneraient de la voir en miettes. L’Allemagne n’est pas seule responsable de la guerre ; la monarchie dualiste a sa part de culpabilité ; c’est elle qui, avant même l’attentat de Serajevo, avait médité et préparé l’humiliation de la Serbie ; c’est elle qui, après la mort de l’archiduc, a rédigé dans l’ombre un ultimatum dont sir Edward Grey disait qu’il était inacceptable pour toute nation civilisée ; c’est elle qui, malgré toutes les concessions faites par la Serbie, lui a déclaré brusquement la guerre et s’est empressée de bombarder Belgrade. Et pourquoi, dans ce puissant empire des Habsbourg, un si violent désir d’écraser un petit peuple ? Parce que, prétendait-on, la Serbie poursuivait en Bosnie-Herzégovine une propagande dangereuse pour la monarchie. Mais comment la Bosnie-Herzégovine faisait-elle donc partie de l’Empire dualiste ? Parce qu’il l’avait annexée en violation des traités et au mépris de la volonté des populations. Pour inexcusable que soit le crime de Serajevo, il est une conséquence de cette annexion ; il n’aurait pu avoir lieu sans elle ; il a été provoqué par elle ; et la guerre universelle qui a suivi est elle-même la suite indirecte de l’atteinte portée par l’Autriche-Hongrie à la liberté des peuples.

Un jeune écrivain de talent, M. Jean Larmeroux, a publié, à la fin de la guerre, deux volumes très clairs et très concluants sur la politique extérieure de l’Autriche-Hongrie entre 1875 et 1914. Il suit pas à pas la diplomatie autrichienne depuis l’insurrection balkanique de 1875 et depuis le congrès de Berlin, et il montre par quelle longue série de démarches intéressées elle nous a peu à peu conduits à la guerre. « Par sa seule constitution, écrit-il, par son organisation injuste, l’Autriche-Hongrie était un poids sur la poitrine de l’Europe. »

Oui, il fut un temps où l’Europe pouvait se contenter de chercher, comme au congrès de Vienne, une « politique de convenances, » où Metternich considérait l’Italie comme une simple « expression géographique, » où un savant équilibre des forces suppléait à tout, où la maison de Habsbourg maintenait d’autorité sous le sceptre impérial des nationalités opprimées et condamnées au silence. Que dis-je ? Ce