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l’Allemagne et son impuissance à se dégager ; (il demandait, en effet, le secret, et ajoutait même qu’une indiscrétion le forcerait à donner des garanties à l’Allemagne et probablement à envoyer des troupes autrichiennes sur le front français) ; et c’est ensuite que, dans la forme où elle se présentait, l’idée de l’Empereur ne pouvait que porter ombrage à l’Italie ; (aucun homme d’État français n’aurait évidemment pu songer à une paix négociée en dehors de l’Italie et, comme l’Empereur ne semblait pas comprendre la nécessité de faire un sacrifice envers notre alliée, le baron Sonnino pressenti a, tout de suite, demandé à M. Ribot de rompre la conversation ; et, dans l’intérêt de nos alliances, M. Ribot a brisé là). Il n’y avait rien, dans tout cela, qui jetât une ombre sur la loyauté du jeune monarque. Mais on se rappelle que plus tard, en avril 1918, au cours de la polémique qui a éclaté entre M. Clemenceau et le comte Czernin, l’Empereur a affirmé à son premier ministre que le passage concernant l’Alsace-Lorraine ne figurait pas dans la lettre adressée au prince Sixte et destinée à m’être confidentiellement montrée. Amnésie, ou peur de l’Allemagne ? Je ne sais, mais la lettre existait bien, puisque je l’avais eue entre les mains et textuellement copiée, avec l’autorisation du prince. Elle n’est, d’ailleurs, plus niée et le prince lui-même en a publié la photographie. Il reste que les sympathies témoignées à la France par Charles de Habsbourg ne se sont guère montrées qu’à l’état de velléités et d’aspirations éphémères, et se sont évanouies aux premières difficultés. Nous n’avons pas, sans doute, le droit de le reprocher trop amèrement à un souverain qui sentait son Empire s’effondrer et que Guillaume II prétendait tenir en chartre privée, mais nous ne pouvons, du moins, trouver, dans le précédent de 1917, un motif suffisant de désirer la restauration des Habsbourg.

Au demeurant, qu’il le voulût ou non, Charles ferait probablement à Buda-Pest tout autre chose que de la politique française. Il y deviendrait vite l’instrument des passions de revanche qui couvent déjà dans l’âme d’un trop grand nombre de Magyars. Dans le remarquable rapport que M. Charles Daniélou a fait, à la Chambre des députes, sur le Traité de Trianon, et qui se signale pourtant par un grand esprit d’équité et même de bienveillance envers les Hongrois, il est aisé de voir combien de revendications avouées ou tacites se préparent à Buda-Pest et combien de protestations soulèvent les frontières tracées par les Alliés. Déjà, avant la signature du Traité, la délégation hongroise avait adressé à la Conférence de nombreux mémoires sur les conditions de paix et avait formulé de vives critiques