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enrayer une tentative, dont le succès momentané ne pouvait avoir pour la Hongrie que de désastreuses conséquences. »

Cette démarche n’a cependant pas été sans susciter, en France même, quelques objections, et l’équipée du jeune Empereur déchu a éveillé dans des cercles parisiens, et jusque dans des salles de rédaction, des sympathies et des vœux discrets. L’intérêt de la France, se demandait-on, n’était-il pas de voir la Hongrie gouvernée par un prince dont les dispositions nous étaient favorables et qui pouvait, tôt ou tard, tirer l’Europe centrale de l’anarchie où elle risque de se débattre éternellement ? L’ancienne Impératrice n’était-elle pas de sang français ? La double influence de ce ménage princier ne s’exercerait-elle pas à Buda-Pest au profit de notre pays ? Et puis, qui sait ? Ne permettrait-elle pas un jour de rapprocher, dans une fédération nouvelle, les États héritiers de l’Autriche-Hongrie ? N’était-ce pas là, pour ces États eux-mêmes, le gage possible d’une vitalité moins fragile ? Et de fil en aiguille, on se reprenait à faire le procès des Traités de Saint-Germain et de Trianon, qui avaient démembré l’Empire dualiste et recouvert le centre de l’Europe d’une poussière d’États. Et quels États ? murmurait-on. Des constructions hétérogènes, qu’on prétend fondées sur l’ethnographie, mais qui sont, en réalité, arbitraires et artificielles. En Tchéco-Slovaquie, par exemple, ne trouvons-nous pas juxtaposés des Tchèques, des Moraves, des Slovaques, des Ruthènes, et aussi des Hongrois et des Allemands ? Comment des édifices aussi composites résisteront-ils aux bouleversements de l’intérieur et aux secousses du dehors ? Un jeune Empereur, aimable, pacifique, parviendrait peut-être à consolider ces châteaux de cartes...

C’est par des rêves de cette sorte que nous avons déjà, l’an dernier, failli compromettre nos relations avec Prague, Belgrade et Bucarest. Je ne mets pas en doute les sentiments francophiles de l’ancienne impératrice Zita et j’ai toujours été, pour ma part, convaincu que Charles lui-même était sincère et bien intentionné, lorsque, le 24 mars 1917, il écrivait au prince Sixte de Bourbon, la lettre que celui-ci m’a apportée et par laquelle l’Empereur promettait d’appuyer auprès de ses alliés, c’est-à-dire-auprès de l’Allemagne, « les justes revendications françaises, relatives à l’Alsace-Lorraine. » Si M. Ribot, alors Président du Conseil, n’a pas donné suite à la proposition officieuse dont il était saisi, ce n’est pas par défiance de l’Empereur ; c’est d’abord parce que Charles lui-même avouait implicitement l’état de dépendance où il était vis-à-vis de