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{{15 avril 1921

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE [1]

Voici qu’est à peu près définitivement déjouée la grande manœuvre allemande, la manœuvre désespérée que le Reich avait osé tenter pour essayer de séparer des Alliés le nouveau Gouvernement américain. Les étranges erreurs de psychologie et de conduite que les Allemands n’ont cessé de commettre aux Etats-Unis pendant la guerre ne leur ont pas servi de leçon ; ils les renouvellent et les aggravent, depuis la paix, avec une extraordinaire inconscience. Leur mauvais génie s’obstine à nous sauver de nos propres fautes. Il est impossible d’imaginer quelque chose de plus lourdement maladroit que le mémoire remis par l’Allemagne à Washington. A première vue, on croirait un chef-d’œuvre de cautéle et d’hypocrisie ; mais, dès qu’on approche, tout s’effondre, et il ne reste qu’un monceau de basses imputations mensongères et de sottes calomnies.

Cela commence par un regret doucereux de bon apôtre : « Le Gouvernement allemand regrette infiniment qu’on ne soit pas arrivé à un accord sur la question des réparations à la Conférence de Londres. Il avait le sincère désir de s’entendre avec les Gouvernements alliés. » Ainsi, c’est l’intransigeance de MM. Lloyd George et Briand qui est cause de la rupture ; et non seulement le premier ministre britannique est coupable de dureté envers l’Allemagne, mais, d’après M. Simons, il dénature les faits : « L’assertion de M. Lloyd George, quand il dit que l’Allemagne n’est pas disposée à s’acquitter de ses obligations, n’est pas exacte. » L’Allemagne est décidée à réparer. M. Simons le répète sous toutes les formes pendant plus de cinquante lignes. Non seulement elle est décidée à réparer, mais, pour en mieux convaincre l’Amérique, le ministre allemand trace lui-même un tableau désolé de nos départements dévastés. Un peu plus il fondrait en larmes. C’est le moment de

  1. Copyright by Raymond Poincaré, 1921.