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stupéfait de certains usages quasi féodaux, de superstitions même, qui choquaient son bon sens, et révoltaient souvent son goût de justice et d’équité. L’homme d’action, qui suivait si passionnément le mouvement des idées, était frappé de l’inertie qui l’entourait. Enfin et par-dessus tout, il désirait entendre dénoncer l’ultramontanisme. Il y voyait un danger pour son pays, une menace même : il y a là matière à roman. Qui l’entreprendra, ce roman vengeur ? Parbleu ! ce sera George. Aussi a-t-il minutieusement décrit à l’auteur de Lelia qui ne demande pas mieux que de l’entendre, l’influence occulte du clergé dans les familles piémontaises, dominant une société arriérée, fermée, une société de « hobereaux. » C’est le nom dont F. Buloz gratifie la petite noblesse du pays ; ses préjugés, ses intrigues, ses prétentions, sa morgue, il les juge détestables.

Ainsi naquit La Quintinie. En outre, l’esprit indépendant de George la poussa à faire de son nouveau roman la contre-partie de Sibylle. En effet, au lieu du bon curé de campagne, simple, pur, mais ignorant, dont l’esprit est si fort au-dessous de celui de son élève, jeune héroïne attardée du romantisme, qui meurt de son amour mystique, voici un sombre prêtre, dominant de toute sa noirceur et de sa passion impure une pupille, plus indépendante que l’autre cependant, et possédant une dialectique intarissable. Comme celui de Sibylle, le fiancé de Mlle La Quintinie est libre penseur, mais tandis que la première convertit un peu rapidement son pécheur, qu’elle fait rentrer dans le giron de l’Église, l’héroïne de George Sand se libère de l’empire du prêtre maléfique, éclaire sa propre foi, et épouse l’athée, brave garçon dont le plus grand tort est d’ignorer le mystère du confessionnal ; il laissera cependant sa femme libre de s’y plonger à son gré. Gageons qu’elle y fera de moins longues stations qu’au temps où le sombre abbé Moreali dirigeait son âme. Le roman de George est assez violent, et prend très souvent l’allure de la thèse. Les hardiesses de Sibylle, que craignait O. Feuillet, sont bien peu de chose à côté de celles de George, surtout quand on songe qu’elle les écrivit en 1861, alors que l’Impératrice était pieuse, et l’orthodoxie à la mode. Le fiancé de Lucie La Quintinie ne s’écrie-t-il pas : « La destinée de Lucie, l’influence qu’elle subit, se rattachent probablement par des fils innombrables à cette conspiration de l’esprit rétrograde, qui enlace la société pour longtemps encore de la base