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débordante où il se confond en reconnaissance et lui dit : « Ce m’est bien assez de grâce que vous daigniez ne me mettre pas entièrement en oubli, sans que vous veuilliez encore, par un excès trop grand de bonté, Monseigneur, vous souvenir de moi si favorablement que d’avoir commandé qu’on me fit part de votre contentement et de votre gloire… Il y a longtemps que je sais que vous n’avez besoin du service de personne… Je vous supplie donc très humblement. Monseigneur, d’avoir autant agréable ma bonne volonté, quoique inutile et dénuée d’effet, que si j’étais si heureux qu’elle en fût accompagnée. » Évidemment, voilà un langage qui n’est pas celui d’un Harlay familier de Richelieu, son collaborateur assidu, travaillant constamment près de lui, sous ses yeux, à préparer l’histoire de la vie du ministre ! L’année suivante, en 1641, Harlay écrit à Charpentier qu’il a pris l’engagement « de vouloir faire deux ans de résidence continuellement en son diocèse, » et il ne dit rien des Mémoires inachevés qu’il semblerait pourtant par là abandonner : aucune explication, aucune excuse. Mais d’ailleurs il n’a jamais rien dit à âme qui vive, dans sa correspondance, durant dix ans, de la mission de confiance extraordinaire que lui aurait donnée Richelieu en le chargeant de rédiger, pour la postérité, le récit de ses hauts faits. Nous avons des lettres intimes de lui à Charpentier. Qu’y aurait-il eu de plus simple qu’il lui échappât la moindre allusion au travail qu’il était en train de poursuivre ? Il n’y a pas le plus léger indice !

Pourquoi, d’ailleurs, Richelieu serait-il allé chercher au fond de sa province un prélat avec qui il n’avait que des relations froides et distantes, que Louis XIII ne pouvait pas souffrir et du jugement duquel le ministre était en droit de se défier ? Un évêque, en ce temps, aurait-il accepté un travail de secrétaire, de scribe, comme celui dont il s’agissait, auprès de Richelieu ? Harlay écrivait très mal : il l’a prouvé. Richelieu aurait pris de préférence un écrivain de profession comme tous ceux, en nombre, ses collaborateurs, qui l’entouraient et qu’il a mis à l’Académie, tandis qu’il n’y a pas mis le principal, celui qui aurait rédigé l’œuvre capitale, le récit de ses actions ! Lorsque Richelieu renonça à son Histoire et composa le Testament politique, on voit par les écritures des manuscrits que tout son entourage collabora à cette œuvre : il n’y a qu’une écriture qui manque, c’est celle, précisément, de Harlay de Sancy, c’est-à-dire