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au dépôt des archives du ministère des Affaires étrangères un manuscrit anonyme en huit volumes in-folio, — c’est le manuscrit tenu pour original des Mémoires, — portant au dos la mention mise par Torcy : « Histoire du cardinal de Richelieu. » Il l’a ouvert, et, dans les corrections interlinéaires ou marginales, il a « cru reconnaître, » dit-il, l’écriture de Richelieu : nous savons qu’il se trompe, les critiques étant d’accord pour affirmer que cette écriture est celle non pas de Richelieu mais du compilateur. Tout heureux de sa découverte, il s’écrie : « J’oserais presque vous annoncer ce manuscrit comme l’original complet de cette histoire (de Louis XIII par Richelieu) ! » Et voilà la première mention, l’affirmation originelle et j’ajoute le seul titre, sur lequel repose la croyance que Richelieu ait écrit ses Mémoires, c’est-à-dire une hypothèse incertaine, avancée de façon dubitative, sur des données fausses ! Rarement attribution d’un document aussi considérable à un auteur de telle importance a été faite dans des conditions plus légères. Car, par une rencontre étrange, il se trouve, en effet, que c’est cette attribution seule qui a suffi : elle a eu l’heureuse fortune de devenir, sans discussion, une vérité établie.

Après Foncemagne, en effet, nul n’a plus été admis à vérifier aux Affaires étrangères l’identification de l’érudit. Les historiens ou les bibliographes, comme Thiroux d’Arconville ou Fevret de Fontette, qui l’ont assez regretté, se sont vu obstinément refuser l’autorisation d’examiner le manuscrit conservé jalousement par des gardes de dépôt inflexibles aux Affaires étrangères. Et alors ils ont écrit et cru, sur le dire de Foncemagne, que Richelieu avait bien rédigé ses Mémoires, que ces Mémoires existaient, conservés aux Affaires étrangères, et que, preuve indéniable de leur authenticité, le manuscrit était corrigé de la main du cardinal : Foncemagne l’avait constaté. Thiroux d’Arconville écrit même : « Ce savant prouve jusqu’à l’évidence que le manuscrit est de ce cardinal. » On voit comment, pour Thiroux d’Arconville, l’hypothèse, timidement hasardée par Foncemagne, devient déjà une évidence prouvée ! Et peu à peu, alors, la croyance s’établit, se fixa. Lorsqu’en 1823, Petitot obtint du duc de Richelieu, président du Conseil, et de M. Pasquier, ministre des Affaires étrangères, l’autorisation de voir enfin le précieux manuscrit et de le publier, pour la première fois, sa conviction était faite d’avance : il n’y avait pas de