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De quelque secret que Richelieu entourât les affaires d’État, il est difficile de croire qu’il rangeât la rédaction de son Histoire dans le nombre : trop de gens étaient au courant. Or, il a admis près de lui des écrivains de son temps qui étaient occupés à écrire les annales du règne de Louis XIII, Vialart, Scipion Dupleix, Grammond ; il leur a donné des conseils, leur a communiqué des documents ; il a même pris la peine de relire leurs épreuves : et aucun d’eux ne s’est jamais douté que le cardinal, poursuivant lui-même de son côté une œuvre semblable, encourageait de la sorte autant de concurrences à son travail ; aucun d’eux ne parle des Mémoires : ils les ignorent tous.

Les ennemis de Richelieu également les ont tous ignorés. Et Dieu sait cependant s’ils étaient instruits, des moindres défauts, des manies et des infirmités du ministre pour les lui reprocher ! Quels prétextes les Mémoires ne leur eussent-ils pas fourni pour railler la fatuité du cardinal prétendant imposer à la postérité ce qu’elle devait savoir ! Les pamphlétaires ne font aucune allusion aux Mémoires : ils n’en soupçonnent pas l’existence.

Ne la soupçonnent pas non plus les hommes de lettres qui gravitaient autour de Richelieu et que Richelieu a mis, pour la plupart, à l’Académie française. Ils écrivaient beaucoup, nous avons leurs volumineuses correspondances. Ils échangeaient les nouvelles littéraires. Ils se voyaient assidûment. Leur contact avec Richelieu était assuré par Boisrobert, familier du cardinal ; par Desmarets, également très en faveur, premier chancelier de l’Académie. De quelle importance n’eût pas été pour tout ce monde des lettres la nouvelle que le grand ministre, comme Jules César, laissait à la postérité le récit de ses actions ? S’ils avaient été tenus à quelque secret du vivant de Richelieu, n’eussent-ils pas parlé après sa mort ? Ils ont parlé : Costar nous dit ce qu’ils savent, et nous l’avons vu : ce qu’ils savent, c’est que Richelieu n’a même pas eu de secrétaire qui ait rédigé ses Mémoires pour lui.

A côté du monde des lettres est, en ce temps, un groupe important d’érudits qui ont tenu quelque place dans le cabinet de Richelieu et qui se donnaient rendez-vous chez les frères Pierre et Jacques Dupuy, gardes de la Bibliothèque du Roi. Ces