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manuscrits de ceux-ci. Disons d’abord que le mot de « secrétaire des Mémoires » est une expression moderne, inventée par feu Avenel et ne se rencontre dans aucun document du XVIIe ou du XVIIIe siècle. Nous connaissons minutieusement la composition du cabinet de Richelieu. Nous savons comment on travaillait dans ce cabinet, quelles étaient les écritures de tous les collaborateurs du ministre, les pièces émanant des uns et des autres étant innombrables. Or il se trouve que l’écriture du compilateur n’appartient à aucun des secrétaires connus de Richelieu et que Richelieu ne s’est jamais servi de ce secrétaire pour un travail quelconque de son cabinet. Qu’y eût-il eu de plus naturel, cependant, pour le cardinal, dans un moment pressé, que de dicter à ce secrétaire, dont il suivait le travail, une lettre, de lui faire transcrire un document, surtout même, de le charger des notes relatives à l’Histoire ? Il n’y a pas le moindre indice d’une collaboration quelconque de ce genre entre le cardinal et le compilateur. Le compilateur n’a certainement jamais appartenu au cabinet de Richelieu, et ceci nous conduit à une constatation singulièrement troublante.

Richelieu est un des hommes d’État qui ont eu au plus haut point le sentiment de la nécessité du secret des affaires. Il a écrit la phrase célèbre : « Le secret est l’âme des affaires. » Constamment, dans ses lettres, il répète : « Cette affaire doit être secrétissime. » Il mettra en tête d’un document des notes telles que celle-ci : « Pour le roi et M. le Jeune (M. de Chavigny, un secrétaire d’Etat) seuls. » Sur sa recommandation, les secrétaires d’Etat copient eux-mêmes les pièces importantes, chiffrent ou déchiffrent les dépêches essentielles, afin que les commis ou les sous-ordres ne les voient pas. Le souci qu’il a de ne jamais changer de secrétaire, de n’en avoir que deux, Charpentier et Cherré, auxquels est presque exclusivement confié tout le travail de son cabinet, témoigne des précautions extrêmes qu’il prend pour conserver ses papiers à l’abri de la moindre indiscrétion. Et quel spectacle nous offre la composition des Mémoires ?

Le rédacteur est déjà inconnu dans l’entourage des collaborateurs du cardinal. On a étudié les écritures des trois ou quatre copistes qui ont transcrit les manuscrits originaux des Mémoires. Ces copistes n’appartiennent pas davantage au cabinet de Richelieu. Ce sont des gens sans instruction, qui écriront par exemple au lieu de : « Ils ne m’avoient pas cru, » « ils ne