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de ce qu’il entend dire à l’hôtel de Rambouillet chez sa cousine la célèbre marquise, affirme que « Richelieu a laissé des mémoires (dans le sens de papiers, documents) pour écrire l’histoire de son temps. » Si Richelieu a laissé des documents pour écrire l’histoire de son temps, c’est que cette histoire, évidemment, il ne l’avait pas écrite.

Tout va confirmer cette constatation.

Prenons les deux manuscrits dits originaux des Mémoires conservés aux Archives du ministère des Affaires étrangères et où l’on relève des corrections nombreuses, même des réfections entières du texte. Premier fait capital : nulle part on ne trouve sur ces deux manuscrits la trace de l’écriture de Richelieu. Les papiers du cardinal, ai-je dit, qui ont servi à l’élaboration des Mémoires, ont été préparés par le compilateur, raturés, surchargés, interlignés par lui : aucune trace, ici encore, de l’intervention de Richelieu : le cardinal n’a jamais participé matériellement au travail de la composition des Mémoires et à leur rédaction : ce travail s’est accompli en dehors de lui et sans lui ! Est-il croyable que Richelieu se soit désintéressé à ce point d’une œuvre à laquelle, d’abord, il avait donné tant de soins et qu’il n’ait jamais jugé à propos d’intervenir, par la moindre correction sur le texte, étant donné surtout que ce texte était à ce point fautif ?

Second fait non moins grave : personne n’a jamais pu trouver, jusqu’ici une lettre, une phrase, une allusion de Richelieu ou de l’entourage de Richelieu relative à la rédaction de ses Mémoires. Richelieu s’absentait de la région parisienne en moyenne six à sept mois de l’année. Ses archives étaient conservées au château de Rueil où devait se poursuivre le travail des Mémoires. Il écrivait beaucoup, quelquefois quinze et vingt lettres par jour, il le dit. Il est invraisemblable qu’il n’ait jamais eu l’occasion d’envoyer à Rueil des instructions au sujet des Mémoires, des réponses à des questions inévitables, des indications sur des points douteux. Le secrétaire des Mémoires était-il à ce point mystérieux qu’il soit impossible de trouver de lui la moindre trace ?

Et, troisième fait, justement, la personnalité de ce secrétaire des Mémoires. Son identité nous est attestée par son écriture qui se retrouve toujours la même sur les documents préparés en vue des Mémoires, ou, d’un bout à l’autre, sur les corrections des