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si grand ministre ! » Ou qu’il se déclare « le plus grand des ministres que la France ait jamais vu ! » Voilà qui est afficher une fatuité plus qu’excessive qui ne concorde pas avec ce que nous savons de l’intelligence, du tact du personnage, surtout avec vingt témoignages contraires, comme cette déclaration d’un de ses familiers, l’évêque de Lavaur, Raconis, écrivant : « Ceux qui avaient l’honneur de parler devant lui, surtout en public, comme je l’ai vu plusieurs fois, ne recevaient aucun ordre plus exprès de sa part, que celui de s’abstenir de ses louanges ; » ou cette lettre du secrétaire d’État Chavigny, son confident, lui disant, après une ombre de compliment indirect : « Je sais que Votre Eminence n’aime pas de semblables exagérations ; elle doit souffrir celle-ci parce qu’il me semble qu’elle ne passe point les bornes de la vérité ; » ou le geste de Richelieu effaçant l’article 5 du projet des statuts de l’Académie française qui portait que « chacun des académiciens promettait de révérer la vertu et la mémoire de Monseigneur leur protecteur, » sous prétexte que cet article « eût semblé trop à son avantage et marquer en lui quelque vanité ! »

Il y a mieux. Si Richelieu, dans ses Mémoires, parle de lui-même comme il est peu croyable que ce prélat gentilhomme plein de mesure et d’élégance ait osé en parler, les Mémoires le font s’exprimer sur Louis XIII en des termes que dément absolument l’altitude constante du cardinal, toute sa vie, à l’égard de son souverain. Nous avons la correspondance du souverain et de son ministre : les lettres de Richelieu à Louis XIII sont innombrables : j’ai retrouvé bon nombre de billets intimes de Louis XIII au cardinal. De la part de Richelieu, c’est toujours le respect le plus profond, la déférence, le dévouement, la loyauté la plus sincère, autant par conviction que par devoir. Or, dans les Mémoires, il ose écrire à propos du Roi les mots « d’idiot, » de « Louis le Fainéant, » et il a sur lui des passages d’une crudité telle qu’on ne peut pas les reproduire. De pareils termes sont invraisemblables de la part d’un cardinal ministre qui a eu au plus haut point le sentiment de la « religion » de la royauté.

Non moins invraisemblables et choquantes sont certaines phrases que Richelieu serait censé avoir écrites, comme par exemple à propos d’un secrétaire de Louis XIII, Tronson, homme fort respectable, paroissien modèle de Saint-Sulpice, ayant épousé une demoiselle de Sève dont il a eu de nombreux