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— dont les préoccupations de correction littéraire étaient réelles, — de corriger avec soin les minutes de tout ce qui sortait de son cabinet. Ensuite, les Mémoires ne présentent pas seulement des longueurs excessives, des faits démesurément développés, à côté de lacunes considérables, des digressions qui ne se rattachent à rien, des répétitions à peu de pages de distance des mêmes textes ; ils contiennent aussi des rédactions incohérentes, des phrases inachevées et, ce qui est pire, des erreurs étranges, des contresens et des absurdités. Comment Richelieu a-t-il pu écrire ou dicter un travail aussi insuffisant ? Le savant éditeur de la correspondance du cardinal, feu Avenel, ému par tant de défauts, finit par écrire que Richelieu n’a certainement jamais vu le manuscrit des Mémoires. Mais comment Richelieu peut-il être l’auteur d’une œuvre qu’il n’a jamais vue ?

Si, de la forme, déjà singulière, nous passons au fond, nous constatons des bizarreries autrement inquiétantes. Les Mémoires sont un récit tendancieux où les événements sont arrangés d’une certaine manière, d’ailleurs souvent gauche. A supposer que ce soit Richelieu qui les ait écrits, sa personne, d’abord, nous apparaît sous un jour assez extraordinaire.

Qu’il ait été, par exemple, vaniteux et amoureux de la gloire, c’est la croyance universelle contre laquelle il est inutile, momentanément, de s’élever. Mais qu’il pousse cette vanité jusqu’à écrire de lui-même, dans les Mémoires, des choses qui passent vraiment les bornes, c’est ce qui finit par déconcerter celui qui, le suivant heure par heure, dans sa vie, s’est un peu familiarisé avec la nature particulièrement distinguée et de bonne tenue de ce gentilhomme très fin, doublé d’un prélat de haute conscience morale. Passe encore qu’il vante « la sagesse de ses conseils, » « sa haute expérience, « qu’il admire sa propre conduite « pleine de piété, » qu’il explique comment il répond à un ambassadeur « avec dextérité, » car « il faut, dit-il, avec une dextérité merveilleuse démêler toutes les fusées et le cardinal est seul à en avoir : » admettons qu’il avoue que « le cardinal est celui dont Dieu se sert pour donner ses conseils à Sa Majesté, » bien qu’il ait tant reproché à Bérulle et à Marillac d’avoir voulu imposer leur politique au conseil du Roi en assurant qu’ils parlaient au nom de Dieu ! Mais qu’il s’oublie jusqu’à écrire : « O Roi trois fois heureux de se servir d’un