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charme et de douceur formaient avec la rudesse du vieux fondateur un si vivant contraste, était adoré à la Revue. Il eût fait, possédant un caractère tout opposé, un directeur aussi excellent que le premier : personne ne savait lui résister. En outre, sa compétence était grande, car dès sa tendre jeunesse il travaillait à la Revue, il avait passé dans tous les services, était l’enfant gâté de tous les collaborateurs, et de tous les employés. D’une intelligence solide, appliqué et réfléchi, il avait, petit à petit, acquis une autorité que les plus grands subissaient en souriant.

Mais depuis quelque temps, Louis Buloz donnait d’étranges signes de malaise et de fatigue ; pourtant, il se plaignait peu. Subitement, il fallut le soigner, aller aux eaux ; F. Buloz, alors, ne vit pas la menace qui pesait sur son fils. Comme tous les hommes robustes, il ne croyait guère à la souffrance des siens. Il fut d’autant plus atterré de voir une maladie de cœur implacable emporter Louis Buloz, le 7 juillet 1869, à Ronjoux, où sa mère, après un voyage dans le Midi, la veille, le ramenait. Voici la lettre que George écrivit à ce propos à Charles Buloz, le dernier fils du fondateur de la Revue :

« Mon bon et cher petit Charlot, je suis désolée avec toi. Je sais comme tu l’aimais, comme tu l’as soigné, comme il t’aimait aussi ! Tu es bien jeune pour connaître de si grands chagrins. Aie du courage, mon enfant, pour ta pauvre mère qui a tant besoin que tu l’aimes pour deux à présent, et pour ton père, que ce coup doit briser. Un malheur qui, en même temps que nous, frappe tous ceux que nous aimons, doit nous faire presque oublier notre douleur personnelle, pour tâcher d’adoucir celle des autres. Je te charge de dire à ta sœur toutes mes tendresses, et combien je partage son immense affliction[1].


Marie-Louise Pailleron.

  1. Collection S. de Lovenjoul, 10 juillet 1869. F. 229, inédite.