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néanmoins à travailler pour la Revue. Mais le litige existant toujours entre Maurice Sand et F. Buloz, la correspondance s’échange interminablement à ce propos. En janvier 1866, elle continue dans ce sens, et F. Buloz prodigue toujours à Maurice des conseils que, je pense, il n’écoute guère : « Pour moi, écrit le premier, le roman est un tableau, une étude de passions modernes, une épopée de la vie contemporaine… Il ne s’agit pas non plus d’en exclure l’amour, ni les amoureux ; seulement, il faut que le récit de ces amours soit tracé dans une forme assez ménagée, assez délicate, pour ne pas nous faire bannir des salons, pour ne pas nous faire condamner par les femmes, qui ont ici voix souveraine. Dans Callirohé, vous avez heureusement mêlé la vie antique à la vie moderne, et la forme en était voilée et délicate… » Que n’a-t-il conservé cette forme ? Voici que Maurice annonce un ouvrage (ce n’est pas un roman) sur Attila, les Huns et la Décadence de l’Empire romain. Eh bien ! c’est précisément ce qu’a fait M. Amédée Thierry[1]. Si Maurice veut se lancer dans cette voie nouvelle de l’histoire, il n’y a qu’à lui recommander de s’entourer de documents anciens et nouveaux ; ils lui coûteront, c’est bien entendu, des recherches immenses… « Et le directeur semble se méfier : de l’histoire ? Diable ! Maurice, dont le talent est vif et ingénieux, se disciplinera-t-il aux rudesses de cette maîtresse exigeante ? possèdera-t-il assez de précision, de persévérance ? son amour de la vérité sera-t-il suffisant ? Ne va-t-il pas bâtir là encore un roman, même avec la meilleure volonté du monde ? Il est mieux à sa place, semble-t-il, ce fils de Lelia, dans les œuvres d’imagination pure : « Venez au roman moderne, à la peinture des passions qui agitent nos contemporains, et vous marcherez ainsi sur un terrain plus sûr, moins épineux, car votre imagination aura libre carrière, pourvu que vous ne vous écartiez pas des principes que l’art, ce maître sévère, impose à tout poète et romancier. » F. Buloz recommande à Maurice de suivre l’exemple maternel ; certes, voilà un excellent exemple, sa mère : « C’est un véritable maître, celui-là, qui le sera toujours pour moi, malgré ses injustices et ses

  1. Attila, les Huns et le Monde Barbare, 1er février 1852. Les fils et successeurs d’Attila, 15 juillet 1854, « Scènes historiques aussi variées, aussi vives, aussi intéressantes que le roman le plus accidenté et le meilleur, » écrivait F. Buloz dans la même lettre.