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d’ailleurs ses libéralités, elle n’a plus besoin de rien[1]… Le lendemain, F. Buloz répond à son auteur, avec une patience pleine de bonhomie, on en conviendra :


« Mon cher George,

« Je ne veux pas vous laisser croire un moment que vous pouvez trouver ici la moindre gêne à votre libre imagination, et je ne veux pas reprendre ce que j’ai concédé avec un véritable plaisir… comment pouvez-vous me le proposer ?

« En témoignage de ce qui précède, je dis tout de suite et sans embarras… Faites votre roman du Prêtre, je serai le premier à vous applaudir si, comme j’en suis sûr d’avance, vous frappez juste, et bien. Si je vous ai dit, après La Quintinie, d’attendre, c’était par pure raison littéraire. Vous croyez le moment venu, et moi aussi, et je vous demande de ne plus ajourner. J’ajoute que si, par hasard, par une exception que je ne prévois pas, il vous arrivait de faire une œuvre qui ne put absolument paraître dans la Revue, ce que je n’admets guère cependant, car vous avez, de nature et conquête, un droit que tous ne peuvent revendiquer, vous la publieriez ailleurs, comme vous l’entendriez. L’ai-je jamais compris autrement ? Comment me prêtez-vous des idées qui ne sont ni dans mes actes, ni dans mes habitudes ? Je vois, mon cher George, que vous me méconnaissez bien encore un peu, malgré votre lettre d’il y a deux ans… Aussitôt que j’aurai un moment, j’irai vous voir, pour détruire cette tendance qui n’est pas juste.

« Tout à vous cordialement.

« F. BULOZ.

« Laboremus, mon cher George[2]… »


Même après cette lettre si confiante, George Sand garda, ou fit mine de garder, sa défiance. Cette même année 1866, elle publiait le Dernier amour, dans la Revue, et s’inquiétait de ses « hardiesses » de romancière. F. Buloz lui répliquait : « Quand donc a-t-on porté atteinte à votre liberté ? Y a-t-il eu un mot retranché ? Pourquoi parlez-vous aussi d’ôter une page ? Vous savez bien que cela n’existe pas davantage… Vous avez

  1. Inédite.
  2. Collection S. de Lovenjoul, 21 février 1866, F. 200, inédite. Je possède le brouillon de cette lettre écrite, je crois, par Ch. Buloz. Sur la première page, de la main de F. Buloz : Copie d’une lettre à G. Sand, datée du 22 février 1866.