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Vous les réparez[1] par un acte de délicatesse et de générosité. Je réparerai les miens (le principal est celui de vous avoir méconnu) par une continuation, et un redoublement de zèle et d’amitié.

« À vous de cœur,

« G. SAND[2]. »


Malgré la « dette » que George contractait envers son ami en 1864, malgré la reconnaissance qu’elle disait alors éprouver pour sa généreuse amitié, voici que deux ans après, elle feint de se trouver prisonnière des engagements qu’elle approuvait naguère avec tant d’enthousiasme. En février 1866, Lélia, encore changeante et toujours impétueuse, réclame de nouveau, — et voici ce qu’elle veut : Qu’il soit effacé de son traité avec la Revue, une clause qui « la blesse et l’humilie. » N’est-il pas dit, dans cette clause, qu’elle n’écrira en dehors de la Revue que rarement, et des œuvres très courtes, qui ne paraîtront pas dans d’autres recueils périodiques ? C’est la condamner à n’avoir pas d’autre opinion en politique, en art, en philosophie, que l’opinion de la Revue, de se tenir dans sa couleur, dans sa méthode.

« C’est ce qui ne se peut plus du moment que la Revue devient de plus en plus prude et sacrée. Que serait-il arrivé, si j’avais voulu faire la suite de Mlle la Quintinie et l’histoire du Prêtre ! J’en avais l’intention, je vous l’ai dit, vous avez repoussé cette idée comme dangereuse pour vos abonnements ; si maintenant je vous apportais un roman qui choquât les idées de vos abonnés, je ne pourrais donc pas le publier ailleurs ? C’est là une situation douteuse et impossible… Je me sens lasse de cet éteignoir ; la vie morale et intellectuelle me sollicite et me commande, et je me vois forcée d’établir entre vous et la Revue une distinction que vous repoussez en vain. Vous dites : La Revue, c’est moi. Mais Louis XIV avait beau dire : l’État, c’est moi, il ne pouvait pas enchaîner le mouvement humain ; et ce qu’il appelait l’État, n’était que la Cour de Louis XIV, c’est-à-dire une coterie… » Que F. Buloz choisisse donc entre le silence de George, ou sa liberté, qu’il reprenne

  1. Si F. Buloz avait eu jadis des torts (?) comme le dit G. Sand, il les avait réparés depuis bien longtemps. Voir la correspondance antérieure.
  2. Inédite.