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était coiffé d’une calotte rouge entourée d’un turban noir ; à sa main était une tabatière, où il puisait continuellement ; ses habits, autrefois riches, étaient vieux et malpropres, et toute sa personne révélait un homme pauvre et négligent. « Qui est ce Juif ? demandai-je. — C’est votre affaire, un homme qui a passé toute sa vie au Maroc, est né à Aqqa, a infiniment voyagé, a été plusieurs fois à Timbouktou, et peut vous donner des renseignements précieux ; c’est ce rabbin Mardochée, dont il est question dans les bulletins de la Société de Géographie. » J’allai à Mardochée et le questionnai ; jugeant qu’il pouvait me fournir de bonnes indications, je pris son adresse et allai le voir. Un Musulman de Mascara, avec qui je devais partir pour le Maroc, m’ayant écrit, sur ces entrefaites, qu’il ne pouvait m’accompagner par suite d’affaires de famille, je proposai à Mardochée de l’emmener à sa place. Il y consentit, à la condition que je prendrais le costume israélite. Je ne vis que des avantages à ce déguisement. Restait à faire mes conventions avec Mardochée. M. Mac Carthy, muni de mes pouvoirs, se chargea de la négociation, et, après de longs débats, rédigea un écrit que Mardochée et moi signâmes, et qui resta à la bibliothèque d’Alger. En voici le résumé.

« Mardochée laisserait à Alger sa femme et ses enfants durant tout mon voyage. Il m’accompagnerait et me seconderait fidèlement, en tous lieux du Maroc où il me plairait d’aller. De mon côté, je lui donnerais 270 francs par mois ; 600 francs lui seraient remis avant le départ, le reste au retour ; si mon absence durait moins de six mois, il recevrait cependant six mois d’appointements. L’entretien de Mardochée durant le voyage serait à ma charge. Si Mardochée m’abandonnait au cours du voyage sans ma permission, il perdait par la même ses droits à toute rémunération pour le temps passé avec moi, quelle que fût la durée de ce temps, et il devenait lui-même débiteur envers moi des 600 francs qui lui avaient été donnés d’avance. »

« L’obligation pour mon compagnon de laisser sa famille a Alger me garantissait contre toute idée de trahison de sa part. L’article par lequel il perdait sa rémunération, en me quittant malgré moi, m’assurait qu’il ne m’abandonnerait pas. Ces deux clauses, inspirées à M. Mac Carthy par sa connaissance des Juifs algériens, sauvèrent le succès de mon voyage et probablement