« La plupart des pillards étaient des Regibat ; quelques Oulad Deleïm les accompagnaient. Le second jour du partage, Mardochée entendit un des hommes qui l’entouraient parler de la tribu des Chqarna comme en faisant partie : « Y a-t-il aussi des Chqarna parmi vous ? » demanda Mardochée. — « Oui, nous sommes cinq Chqarna ici, un tel, un tel, un tel... » Quelques heures plus tard, les Arabes s’étant disséminés pour faire la sieste, Mardochée se dirigeait vers le Chqarni qui lui avait parlé, et tombait à ses pieds, la main attachée à son burnous : « Par Dieu et votre honneur ! Dieu me met sous votre protection, ne me la retirez pas. J’ai une debiha [1] sur les Chqarna, je m’appelle Mardochée Ali Serour, un tel d’entre vous est mon seigneur. Par Dieu et votre honneur ! sauvez-moi, montrez que les Chqarna défendent leurs clients, et que leur sauvegarde n’est pas vaine. »
« Le Chqarni se trouvait parent du seigneur de Mardochée ; il répondit que, pour l’or, il ne pourrait pas le faire rendre, d’autant plus qu’on l’avait pris avant la connaissance de la debiha, mais il garantirait la vie des deux Juifs ; il ne pouvait prendre d’autres engagements à cause du petit nombre de Chqarna présents au rezou. Le soir du même jour, le partage terminé, les Arabes tinrent conseil ; on discuta ce qu’on ferait ; il fut résolu qu’on battrait le désert dans la région, puis on parla de Mardochée. La plupart étaient d’avis de le tuer avec son compagnon ; les cinq Chqarna s’y opposèrent : Mardochée, reconnu client de leur tribu, était désormais, déclarèrent-ils, sous leur protection. Une discussion violente s’engagea ; le chef du rezou, un Regibi, voulait la mort des Juifs, ses Regibat criaient avec lui. Les Chqarna furent fermes, et, quand on les vit prêts à combattre plutôt que d’abandonner les suppliants, on leur céda.
« Mardochée mena une triste vie pendant la semaine qui suivit : le rezou avait repris ses courses ; il parcourait souvent 50 kilomètres par jour, à une allure rapide ; les Juifs couraient nus à côté des montures des Chqarna dont ils n’osaient s’éloigner, la faim les tourmentait ; leurs protecteurs n’ayant que le strict nécessaire, ne pouvaient rien leur donner ; des herbages, les os que jetaient les Musulmans, tout impurs qu’ils étaient, une pincée de thé obtenue par charité, furent, pendant cette
- ↑ L’acte par lequel on se place sous la protection perpétuelle d’un homme ou d’une tribu. C’est une anaïa prolongée.