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ses méharis, et quelques-uns déjà se mettent en marche. Tout à coup, l’un d’eux, en consolidant le bat d’un des quatre animaux, aperçoit, par une déchirure, des brins de paille du rembourrage ; il en tire un : « Ia ! revenez ! ia, revenez ! s’écrie-t-il. De la paille du Soudan ! Le Juif a menti : il vient du Soudan ! » En moins de deux minutes, tous les Arabes se pressent sur Mardochée : « L’or ! l’or ! » est le seul cri qu’on entende. « Par Dieu ! je n’en ai pas. Par notre seigneur Moïse ! je n’en ai pas. Messeigneurs, je n’en ai pas, je n’en ai pas ! » Plus d’histoires, on lui met un poignard sur la gorge : « Où est-il ? — Je n’en ai pas. » On enfonce un peu l’arme, le sang coule : « Je n’en ai pas ! » murmure-t-il à demi évanoui. La question recommencera lorsqu’il sera remis ; pendant qu’il reprend ses sens, on passe à l’autre juif : il voit couler son sang sans avouer. On le laisse pâmé, et on court à l’esclave : « D’où viens-tu ? — De Timboukton. — Tes maîtres ont-ils de l’or ? — Non. » A son tour, il sent la pointe d’une lame s’appuyer sur sa gorge ; le pauvre nègre tremble : « J’ignore s’ils ont de l’or, gémit-il, mais ils ont creusé tout à l’heure au pied de cet arbre, voyez... » C’était inutilement que Mardochée et son compagnon s’étaient laissé blesser et presque égorger : leur secret était découvert ; Mardochée était ruiné, et probablement on le tuerait pour empêcher toute vengeance, après un vol aussi considérable. Pour la seconde fois, en ce jour, la sécurité faisait place à un danger suprême... Il ne fallut pas longtemps pour déterrer le trésor. Qui peindra l’allégresse des Arabes à la vue de tant d’or ? Il ne fut plus question de partir ; on tua un chameau, et on ne pensa plus qu’à manger pour fêter une telle prise. Les deux Juifs passèrent cette journée et la nuit au milieu du cercle des Arabes, assistant à leur réjouissance sans savoir ce qu’ils deviendraient.

« Le lendemain, les Arabes voulurent diviser l’or entre eux. Ils étaient soixante cavaliers ; ne sachant comment faire soixante parts égales, ils ordonnèrent à Mardochée de faire le partage : on mit entre ses mains la petite balance trouvée dans ses bagages et, durant deux journées, il dut peser son propre or sous les yeux de ses ravisseurs et s’ingénier à leur en composer soixante parts semblables. Le malheureux regardait cela comme un répit, il s’attendait à être égorgé dès qu’il aurait achevé sa besogne. D’ailleurs n’allait-il pas périr de faim ? tout aliment lui était refusé, il se nourrissait d’herbe depuis sa captivité.