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qu’il s’appelle Moulei Ibrahim, turban, burnous, chemise volent en un instant : « Impies ! enlèverez-vous le pantalon à un enfant du prophète ? » Il n’avait pas achevé, et le pantalon avait suivi le chemin du reste. Les vêtements arrachés sont fouillés, retournés, examinés dans tous les sens, on n’y trouve rien. Furieux, les pillards se retournent vers les deux hommes qui sont nus sur les genoux : . « D’où viennent-ils ? qui sont-ils ? demandent-ils tous à la fois. Ils ne sont pas là sans motif. Ils ont des marchandises ! Ils doivent venir du Soudan ! Ils ont de l’or ! Où est-il ? Qu’ils avouent ou, par Dieu, on les tue sur l’heure ! »

En criant, ils les poussent, ils les tirent, et brandissent leur armes... Or, à leur langage, Mardochée a reconnu des Arabes du Sahel, région peu éloignée de sa patrie. A l’instant, il change de plan, et, se mettant à rire : « Ia ! que ne dites-vous que vous êtes des Regibat ? Je suis des vôtres. Que Dieu maudisse Moulei Ibrahim et Moulei Ali ! Nous nous appelons Mardochée et Isaac, et nous sommes des Juifs d’Aqqa ! vous ne ferez pas de mal à de pauvres Juifs vos serviteurs. Comment aurions-nous de l’or ? Nous venons d’Aqqa, et nous nous rendions dans votre tribu même vous vendre des parfums, voyez notre pacotille. »

Ce discours jette le doute dans l’esprit des pillards, l’accent et le visage des deux hommes sont ceux d’Israélites, les boites de parfums semblent indiquer qu’ils disent vrai : ils fouillent une seconde fois les bagages. Mardochée avait changé de plan parce qu’il sentait que, s’il persistait à se dire chérif, on prendrait ce qu’il avait, et on le tuerait pour éviter les représailles ; Juif, on lui prendrait tout, mais peut-être lui laisserait-on la vie, n’ayant pas de vengeance à redouter de lui. A aucun prix, il n’avouerait avoir de l’or, ce qui accroîtrait son péril. Les Arabes ne trouvaient définitivement rien, et tout leur montrait la sincérité de Mardochée ; ils se disposaient à emmener les méharis et l’esclave avec le bagage, et à laisser les deux Juifs se tirer d’affaire comme ils pourraient : nus, sans nourriture, sans guide, ils regagneraient Aqqa ou mourraient en route, à la grâce de Dieu. Mardochée gémit, pleure, supplie qu’on lui laisse au moins un chameau et une outre, on le repousse durement. Il s’attendait à ce refus, sa demande était une comédie ; en réalité, il était content ; il gardait la vie et son or, et, connaissant le pays, atteindrait facilement Aqqa ; dans moins d’une heure, quand les Arabes auraient disparu, il partirait. Ses spoliateurs chargent