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Mardochée et moi déchargions nos mules et nous installions provisoirement, en attendant que le rabbin et les Juifs du lieu vinssent nous offrir l’hospitalité complète : abri et nourriture. L’entretien des docteurs de passage pèse sur toutes les familles, un tour règle l’ordre dans lequel elles y participent... Le tour astreint à nourrir un rabbin, de sorte que, chez les Juifs, Mardochée et moi étions d’ordinaire séparés pour les repas, mais on admettait que nous logeassions ensemble chez l’un des deux hôtes. Dans de rares endroits, nous fûmes reçus ensemble et pour un temps illimité, en dehors du tour, par des familles riches ; en quelques lieux misérables, les Juifs nous tournèrent le dos : nous sachant à la synagogue, ils n’y vinrent pas, et se passèrent d’y faire leur prière pour se dispenser de nous recevoir : nous dûmes retourner à notre escorte et demander un abri à des Musulmans. Chez les Musulmans comme chez les Juifs, l’hospitalité est gratuite : je remerciai par un cadeau consistant en sucre ou en thé, parfois en corail ou en un mouton.


III. — HISTOIRE DE MARDOCHÉE ABI SEROUR

« Mardochée Abi Serour, fils de Jais Abi Serour, originaire de Mhamid el Rozlan, naquit au Sud du Maroc, dans l’oasis d’Aqqa, vers 1830. Agé de moins de quatorze ans, il quitta son pays pour compléter ses études théologiques. Il étudia à Merràkech, à Mogador, et à Tanger où il s’embarqua pour la Palestine. Après être demeuré un ou deux ans en Terre sainte et y être devenu rabbin sacrificateur, il gagna l’Algérie, où il passa quelques mois à Philippeville comme rabbin officiant, puis, se souvenant de sa patrie, il fit voile pour le Maroc et retourna à Aqqa. Il n’avait pas vingt-cinq ans. Séduit par la perspective d’une fortune rapide, il se jeta dans une entreprise audacieuse : le premier de sa race, il entra à Timbouktou. Son arrivée au Soudan et les débuts de son séjour furent entourés de cent périls ; il se maintint à force de courage et de ruse ; son négoce prit bientôt une grande prospérité ; avec la fortune vinrent la sécurité, le crédit, la puissance même.

« En peu de temps, il fut le marchand le plus considérable de Timbouctou ; il y eut alors pour lui dix ou douze ans de prospérité et de bonheur ; son commerce consistait dans l’échange