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hautes, des vallées profondes, des torrents qui culbutent entre des rochers noirs ; sa lumière est éclatante, et l’air pur qu’on y respire coupe comme une lame. George s’y plairait-elle ?

En avril, lorsqu’elle quitte Toulon, elle prévient pourtant Mme Buloz : « Il est possible qu’à Lyon je prenne le chemin de fer et que j’aille faire un tour de votre côté… » Mme Buloz doit arriver en Savoie le 2 mai, qu’elle renseigne George : « À quelle distance ses amis sont-ils de Chambéry ? Où trouve-t-on des voilures ? Je tâcherai donc d’aller vous voir dans votre résidence, mais il ne faut rien changer pourtant à vos projets… Vous savez que je suis une bonne femme, qu’il n’y a pas de cérémonie à faire avec moi, et que si vous n’êtes pas installée encore, vous pouvez m’envoyer coucher, moi et mes deux acolytes, à l’auberge du village voisin. Le but, c’est de vous serrer les mains, tout en admirant votre belle Savoie ; quant au gite, la vie que je mène depuis trois mois ne me fait pas regarder une nuit d’auberge de plus ou de moins comme une considération quelconque dans le voyage…[1]. » Quelques jours après, elle affirme encore : « Je dors partout, je mange de tout, et fussiez-vous au bivouac, je ne ferais pas la grimace. Je vois que votre bivouac est déjà sybaritique, mais il faudrait qu’il ne le fût guère pour n’être pas meilleur que les lits provençaux où pourtant je ne fais qu’un somme.. Mes compagnons de voyage sont Manceau, mon ami et celui de Maurice, depuis tantôt douze ans d’intimité, et Marie une grande Berrichonne que j’ai élevée, qui est la gouvernante de mon intérieur et une sorte de fille pour moi. Je l’ai soignée malade, elle me l’a bien rendu ! Ce n’est qu’une paysanne, mais d’une nature si distinguée et si réservée qu’elle vous intéressera comme un type… Maurice est en Afrique…[2] »

Et George vient en Savoie, visite les Charmettes, qu’elle n’oubliera plus, pousse même jusqu’au lac du Bourget ; elle est si enthousiaste du château de Bourdeau, posé à pic au-dessus de ses eaux, qu’elle y fera naitre quelques mois plus tard Mlle La Quintinie[3]. Malheureusement, le temps n’a pas souri à

  1. Inédite.
  2. Inédite.
  3. En 1864, Maurice Sand ayant perdu un enfant, Marc, voyagea en Savoie avec sa femme, et alla visiter F. Buloz à Ronjoux. George écrivit alors à son fils :
    « Je suis contente de vous savoir arrêtés quelque part dans ce beau pays… Vous aimez la Savoie, n’est-ce pas ? Buloz vous fera voir ses petits ravins mystérieux et ses énormes arbres… C’est un endroit superbe que sa propriété, et tout alentour, il y a des promenades charmantes à faire. Il faut voir mon château de Mademoiselle La Quintinie : il s’appelle en réalité Bourdeau, et de là vous pouvez monter à la Dent du Chat. » « Correspondance à Maurice Sand. Palaiseau, 6 août 1864).