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tel point qu’ils m’eussent fait un mauvais parti, si j’étais resté dans mon pays ; j’ai dû fuir, et je me suis décidé à aller exercer ma profession au Maroc, où, sur la foi de Mardochée, j’espère faire de beaux bénéfices. Mardochée raconte cela en arrivant. Lui ayant défendu de répandre l’histoire sous cette forme, il la répéta les jours suivants, en supprimant l’envie des médecins chrétiens et les dangers causés par leur haine.

« 16 et 17 juin. — Nous cherchons en vain le moyen de pénétrer dans le Rif ; beaucoup d’Israélites rifains consultés déclarent qu’on ne peut y entrer, par Nemours, qu’avec la protection d’un certain chikh (chef) marocain, qui viendra ici peut-être dans quinze jours ou un mois, peut-être plus tard ; et ce moyen même serait incertain ; autant, ajoute-t-on, il est difficile de traverser le Rif en partant d’ici, autant cela est facile en partant de Tétouan, où des hommes influents peuvent donner des recommandations efficaces. Je ne veux pas attendre quinze jours ou un mois à Nemours ; mieux vaut gagner Tétouan par mer et commencer de là mon voyage : je partirai pour Tanger par le prochain paquebot.

« 18 juin. — Un vapeur paraît en rade. Il va à Tanger par Gibraltar. Je m’y embarque avec Mardochée. Juifs, nous prenons la dernière classe, et nous faisons la traversée sur le pont, en compagnie d’Israélites et de Musulmans.

« Départ à neuf heures du matin, par un assez mauvais temps.

« 19 juin. — Je m’éveille en rade de Gibraltar. Le paquebot restera à l’ancre toute la journée ; je descends à terre et je visite la ville ; Mardochée demeure à bord ; un petit juif de dix-huit ans, qui sait l’espagnol, m’accompagne ; pour moi, j’ignore toute langue, hors l’arabe ; mon excursion aura un but pratique : on nous donne dans le paquebot une eau très sale, j’emporte une grande marmite de fer que je rapporte pleine d’eau. Je me promène cinq heures à Gibraltar, ma marmite à la main ; je pousse jusqu’à un village espagnol situé à un kilomètre de la ville ; en franchissant la frontière, je vois des sentinelles anglaises et espagnoles monter la garde à 60 mètres de distance ; autant les premières sont bien tenues, autant les secondes le sont mal.

« 20 juin. — Quitté Gibraltar à midi ; arrivé à Tanger à 2 heures 45 minutes.

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