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plus riches étoffes. Telle est la synagogue ; un banc appuyé au mur en fait le tour, et la complète. Nous finissions d’y dîner, lorsqu’entrent les uns après les autres trente ou quarante hommes ; ils s’asseyent sur les bancs et causent à voix basse ; ce sont les Israélites du lieu, qui viennent faire en commun la prière du soir ; à un signal, tous se dressent, se tournent vers l’Orient, et commencent leur prière, bas ou à mi-voix ; embarrassé, je les regarde pour faire comme eux, et, les imitant, je me balance en mesure comme un écolier qui récite sa leçon, tantôt muet, tantôt faisant entendre un bourdonnement nasillard. Au bout de huit ou dix minutes, chacun fait en même temps un grand salut ; c’est la fin. Les Juifs se mettaient en mouvement pour sortir quand, à ma vive surprise, Mardochée les prie de rester et de l’entendre : il est, dit-il, un pauvre rabbin établi à Alger, qu’un malheur oblige à quitter sa femme et ses enfants pour faire, âgé et souffrant, le lointain voyage du Rif. Il va parcourir cette province à la recherche de son beau-frère..., il raconte les histoires d’hier, le désespoir et les maladies de sa femme, ... enfin, et voici le comble des maux, il croyait le voyage plus facile qu’il n’est et, si loin encore du terme, il manque déjà d’argent... Ici il se met à verser des larmes, et, d’une voix entrecoupée, il supplie ses frères de Lulla Marnia d’avoir pitié de lui et de lui faire quelque aumône. Ils lui répondent sèchement de s’adresser au Consistoire d’Oran. Aussi étonné que mécontent de cette comédie, j’en demande, dès que nous sommes seuls, l’explication à Mardochée : « C’était pour m’habituer à mentir, » répond-il.

« 15 juin. — Départ de Lalla Marnia à quatre heures du matin, par la diligence. Arrivée à dix heures du matin au petit port de Nemours. Nous louons une chambre dans une maison juive, et nous nous mettons en quête de renseignements sur le Rif.

« Ici notre histoire varie, la mienne surtout. Mardochée raconte la même chose qu’à TIemcen, en ajoutant que des gens de cette ville lui ont affirmé avoir connu son beau-frère dans le Rif. Pour moi, je suis un grand médecin et un savant astrologue ; j’ai fait des cures merveilleuses ; les maux d’yeux sont mon triomphe, je guéris les yeux les plus malades, j’ai rendu la vue à des aveugles de naissance. Cette grande science et ces étonnants succès m’ont attiré l’envie des médecins chrétiens, à