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il est donc résolu à explorer le Rif, village par village s’il le faut, pour retrouver son beau-frère. C’est ce qui l’amène aujourd’hui à Tlemcen. Pour ce jeune Israélite qui l’accompagne, et qu’on l’entend nommer rabbin Joseph, c’est un pauvre rabbin moscovite qui se rend au Maroc, pays des Juifs pieux, pour quêter des aumônes ; Mardochée l’a emmené avec lui, et a payé son voyage jusqu’à Nemours, par pure pitié. Maintenant il supplie ces docteurs, qui tous ont habité le Rif, de recueillir leurs souvenirs, et de lui apprendre s’ils n’ont point connu celui qu’il cherche, un Israélite blond et pâle, âgé de vingt-deux ans, nommé Juda Safertani. Quel présent ne fera-t-il pas à celui qui dira où il se trouve ? » Les assistants réfléchissent, cherchent, discutent, mais en vain : aucun d’eux ne connaît Juda Safertani. Mardochée soupire, et les prie de lui donner au moins des renseignements sur le Rif : par où y pénètre-t-on ? Comment y voyage-t-on ? En quels lieux y a-t-il des Juifs ? Quels sont les hommes influents du pays ? La conversation reprend sur ce sujet, l’anisette l’anime, de nouvelles bouteilles remplacent la première, le verre fait nombre de fois le tour du cercle, on parle très haut, et la discussion devient vive sur les meilleurs moyens de parcourir le Rif. Quand nos « cousins » se retirent, il est convenu que nous partirons le lendemain pour Lalla Marnia ; de là, nous gagnerons Nemours, d’où nous entrerons, s’il plaît à Dieu, dans le Rif.

« 14 juin. — Une diligence nous emporte de Tlemcen à neuf heures du matin, et nous arrête à six heures du soir dans la bourgade de Lalla Marnia. Nous nous installons pour la nuit dans la synagogue ; elle présente l’image de tous les temples juifs que je verrai au Maroc ; c’est une salle rectangulaire, avec une sorte de pupitre au milieu, et dans le mur, un placard. Le pupitre sert à appuyer le livre de la Loi, aux lectures publiques qu’on en fait deux fois par semaine ; dans les communautés riches, il est sur une estrade et parfois sous un dais ; dans les villages pauvres, il consiste en une pièce de bois horizontale soutenue par deux poteaux. Le placard contient un ou plusieurs exemplaires de la loi (Sifer Toura), écrits sur parchemin et roulés sur des cylindres de bois (comme les volumes romains, avec cette différence qu’ils sont roulés sur deux cylindres au lieu d’un) ; ces doubles rouleaux ont 0,50 centimètres de haut et sont couverts de trois ou quatre enveloppes superposées des