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Bon fils, il se consacra à ce père âgé et malheureux. Abandonnant ses livres et le projet de retourner dans la ville sainte, il se jeta dans le commerce ; les affaires de son père se rétablissaient difficilement ; il se dit : « Il faut que j’ouvre un chemin nouveau. « Tous les ans, de riches caravanes arrivaient dans son pays, venant d’une ville mystérieuse où jamais Juif n’était entré, Timbouktou, patrie de la poudre d’or, de l’ivoire, des plumes d’autruche, où le négoce, disait-on, rapportait vingt pour un. « J’irai à Timbouktou, » dit-il. De son pays à cette ville, il y avait trente jours de marche à travers le désert. Il les fit, entra à Timbouktou le premier de sa race, et ouvrit aux Juifs cette voie nouvelle ; en un an, il gagna une fortune considérable qu’il apporta à son père ; durant plus de dix années, il continua ce commerce ; il traversa quatorze fois le grand désert ; ses richesses étaient immenses, ses parents vivaient dans l’abondance, ils avaient des jardins d’orangers, sa mère possédait une caisse pleine de pierres précieuses. Un jour cette prospérité diminua : plusieurs caravanes chargées de ses marchandises furent pillées ; ses parents moururent pendant son absence, et des frères s’emparèrent de tout leur héritage, fruit de son travail.. Affligé de tant de malice, il laissa le commerce, et, ramassant les débris de sa fortune, dit une seconde fois adieu à sa patrie. Depuis lors, il vécut dans diverses villes du Maroc, et, en dernier lieu, s’étant marié, s’établit à Alger. Il y vit en paix et dans la crainte de Dieu, ayant trop connu les richesses pour ne pas les mépriser, se trouvant heureux dans l’aisance, partageant ses jours entre l’étude des livres divins et l’éducation de ses enfants. Mais depuis deux ans une infortune domestique trouble ce bonheur.

« Sa femme avait un jeune frère qu’elle adorait ; il avait toujours vécu avec elle et l’avait suivie sous le toit de son mari ; il y a deux ans, à la suite d’une discussion avec Mardochée, ce jeune homme quitta la maison ; depuis on ne l’a pas revu et on n’en a reçu aucune nouvelle : de ce moment, la femme de Mardochée ne fait que pleurer : à deux reprises même le chagrin l’a rendue malade. Or, il y a quelques jours, on lui a dit que son frère était dans le Rif, exerçant le métier de bijoutier, sans pouvoir préciser en quelle ville. Aussitôt, elle a supplié son mari d’aller à la recherche du fugitif, et lui, bon époux, pour rendre le repos et la santé à sa femme, s’est décidé à ce voyage ;