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une pharmacie qui me permettra au besoin de me dire médecin, l’autre un sextant, des boussoles, des baromètres, des thermomètres, du papier et des cartes ; le sac contient un costume de rechange et une couverte pour chacun de nous, des ustensiles de cuisine et des provisions. Comme argent, j’emporte trois mille francs, partie en or et partie en corail. C’est dans cet équipage que nous sommes entraînés vers Oran. Je vais à Oran parce que je veux entrer au Maroc par terre : mon projet est de me rendre de Tlemcen à Tétouan en traversant la région du Rif, laquelle forme tout le littoral entre la frontière algérienne et Tétouan. D’Oran j’irai à Tlemcen ; là je m’informerai des moyens de voyager dans le Rif.

« Nous arrivons à Oran à six heures du soir. La gare est hors de la ville ; de moitié avec deux Juifs qui étaient dans le train, nous prenons un fiacre qui nous porte à un hôtel fréquenté des Israélites. Nous louons une chambre à raison de deux francs par jour, et, tirant nos provisions, nous faisons en tête-à-tête notre premier repas du soir. Étrange maison que l’hôtel où nous sommes ! J’ai eu un moment de surprise, en m’entendant tutoyer par le valet : en Algérie, on tutoie les Juifs.

« 11 juin. — Ce jour est le premier de la fête de Sbaot (Pentecôte), dans laquelle on célèbre le don de la Loi fait à Moïse sur le Sinaï ; défense aux Israélites de voyager aujourd’hui ni demain. Je reste dans ma chambre, Mardochée va à la synagogue, et en revient à la nuit avec un de ses coreligionnaires. Ils se mettent à causer ; j’apprends que mon compagnon se livre à la recherche de la pierre philosophale, l’autre juif est un compère alchimiste ; longtemps je les vois discuter, faiblement éclairés par une bougie, leurs ombres dessinant sur les murs d’énormes silhouettes ; je m’endors sur ma paillasse, bercé par ces étranges discours.

« 12 juin. — Vers cinq heures du soir, nous montons en diligence, et partons pour Tlemcen. En me rendant à la voiture, j’entends un passant dire à son voisin, en me montrant : « Savez-vous d’où ça nous vient, ça ? Ça nous arrive en droite ligne de Jérusalem. »

« 13 juin. — Arrivée à Tlemcen à dix heures du matin. Nous nous mettons aussitôt en quête des Juifs du Rif. A une heure, nous n’en avons pas trouvé un qui ait pu nous renseigner utilement ;