Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/823

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entrevues au cours desquelles le jeune officier français, habilement interrogé, et se sentant deviné, s’avoua chrétien, et se confia à l’honneur de son hôte. Le temps a couru. Ce qui pouvait être une cause d’ennuis, — la mort était parmi ces ennuis possibles, — sous le règne des anciens sultans, a repris son caractère véritable de générosité rare et de chevalerie. Le traité de 1912 a permis de l’imprimer.


« Le 10 juin 1883, à cinq heures du matin, j’entre dans une vieille maison du quartier juif d’Alger : c’est le domicile du rabbin Mardochée. Mon compagnon y vit dans une seule chambre, avec sa femme et ses quatre enfants ; il m’attend ; je dois quitter chez lui mes vêtements européens et prendre le costume israélite : une longue chemise à manches flottantes, un pantalon de toile allant jusqu’au genou, un gilet turc de drap foncé, une robe blanche à manches courtes et à capuchon (djelabia), des bas blancs, des souliers découverts, une calotte rouge et un turban de soie noire sont préparés pour moi ; cela forme un costume juif mi-algérien mi-syrien qui convient aux rôles, peut-être divers, que j’aurai à jouer.

« Je m’habille, et Mardochée, sa femme, ses enfants et moi sortons, et descendons les ruelles en escalier qui conduisent au port, où est la gare d’Oran. Nous partirons pour Oran à sept heures du matin, par le chemin de fer. Je demande deux billets en mauvais français, pour être d’accord avec mon costume ; Mardochée fait ses adieux à sa famille, et nous voici tous deux assis dans une voiture de troisième classe. Le temps est admirable, le wagon est plein d’ouvriers arabes, nous partons entourés de gaieté et inondés de soleil.

« Je m’appelle le rabbin Joseph Aleman, je suis né en Moscovie d’où m’ont chassé les récentes persécutions ; dans ma fuite j’ai été d’abord à Jérusalem ; après y avoir pieusement passé quelque temps, j’ai gagné le Nord de l’Afrique, et maintenant je voyage à l’aventure, pauvre, mais confiant en Dieu ; une estime réciproque me lie à Mardochée Abi Serour, comme moi savant rabbin, et qui a passé de longues années à Jérusalem. Mardochée porte un costume pareil au mien, cela nous donne un air de famille ; il me déclare que je lui ressemble, et qu’à l’occasion, il me fera passer pour son fils. Nous avons peu de bagages, un sac et deux boites ; les boiLes renferment : la première