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connaissance des mœurs musulmanes, ou des mœurs juives, pour ne pas se trahir !

Mac Carthy conseilla, et l’officier accepta la seconde solution. Charles de Foucauld a expliqué pourquoi.

« Il n’y a que deux religions au Maroc. Il fallait à tout prix être de l’une d’elles. Serait-on musulman ou juif ? Coifferait on le turban ou le bonnet noir ? René Caillé, Rohlfs et Leng avaient tous opté pour le turban. Je me décidai, au contraire, pour le bonnet. Ce qui m’y porta surtout fut le souvenir des difficultés qu’avaient rencontrées ces voyageurs sous leurs costumes : l’obligation de mener la même vie que leurs coreligionnaires, la présence continuelle de vrais musulmans autour d’eux, les soupçons mêmes et la surveillance dont ils se trouvèrent souvent l’objet, furent un gros obstacle à leurs travaux. Je fus effrayé d’un travestissement qui, loin de favoriser les études, pouvait y apporter beaucoup d’entraves ; je jetai les yeux sur le costume israélite. Il me sembla que ce dernier, en m’abaissant, me ferait passer plus inaperçu, me donnerait plus de liberté. Je ne me trompai pas. Durant tout mon voyage, je gardai ce déguisement, et n’eus lieu que de m’en féliciter. S’il m’attira parfois de petites avanies, j’en fus dédommagé, ayant toujours mes aises pour travailler ; pendant les séjours, il m’était facile, à l’ombre des mellahs, et de faire mes observations astronomiques, et d’écrire des nuits entières pour compléter mes notes ; dans les marches, nul ne faisait attention, nul ne daignait parler au pauvre Juif qui, pendant ce temps, consultait tour à tour boussole, montre, baromètre, et relevait le chemin qu’on suivait ; de plus, en tous lieux, j’obtenais de mes cousins, comme s’appellent entre eux les Juifs du Maroc, des renseignements sincères et détaillés sur la région où je me trouvais. Enfin, j’excitai peu de soupçons. Mon mauvais accent aurait pu en faire naître, mais ne sait-on pas qu’il y a des israélites en tous pays ? Mon travestissement était d’ailleurs complété par la présence, à mes côtés, d’un Juif authentique... Son office consistait d’abord à jurer partout que j’étais un rabbin, puis à se mettre en avant dans toutes les relations avec les indigènes, de manière à me laisser le plus possible dans l’ombre ; enfin à me trouver toujours un logis solitaire où je pusse faire mes observations commodément, et, en cas d’impossibilité, à forger les histoires les plus fantastiques