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à merveille l’Algérie. Il avait visité les moindres villages, séjourné dans les douars de toutes les tribus, recueilli des milliers de notes qu’il confiait, çà et là, à des amis : il avait lu, sur les choses et les gens de l’Afrique, tout ce qui fut écrit par les voyageurs, les historiens, les archéologues, et il se souvenait de tout. « La terre africaine était la propriété de son esprit. » [1] Dans son corps frêle vivait une âme intrépide et savante-Guide sûr, mais dont les méthodes d’exploration avaient toujours été très personnelles, on pouvait deviner ce qu’il conseillerait au jeune officier qui se mettait à son école. Car » pour être à l’abri partout, devenu comme insensible au froid et au chaud, il avait voyagé sans escorte, sans bagages, ses poches bourrées seulement de carnets et de cartes manuscrites, insouciant de toutes les commodités de la vie matérielle, protégé par son dénûment même, selon le proverbe oriental qui dit : « Mille cavaliers ne sauraient dépouiller un homme nu. »

Oscar Mac Carlhy était conservateur de la bibliothèque installée dans le palais de Mustapha Pacha, rue de l’État-major. « Tous deux accoudés à la balustrade de la cour mauresque, le vieux savant et le jeune officier passaient de longues heures, penchés sur les cartes anciennes et les poudreux in-folios, feuilletant les ouvrages des anciens géographes, que Foucauld devait laisser loin derrière lui [2]. »

Une des plus importantes questions à résoudre, pour le succès d’un voyage au Maroc, était le choix du déguisement. Impossible de pénétrer sans cacher sa qualité de chrétien, dans ce pays hostile. Seuls, les représentants des Puissances européennes le pouvaient faire, mais en suivant le « chemin des ambassades, » qui allait de la côte à Fez ou à Marrakech, sans pouvoir s’écarter de l’itinéraire traditionnel, constamment épiés, réduits â ne connaître du Maroc que ce que voulaient bien leur en montrer les fonctionnaires et familiers du Sultan, toujours hantés par la peur de la conquête. Deux costumes seulement pouvaient permettre de passer au milieu des tribus, d’être accueilli dans les villages où nul Européen n’avait mis le pied, de converser avec les Marocains : le costume arabe, et le costume du juif, commerçant toléré et surveillé. Mais quelle

  1. Fromentin, eod. loc.
  2. Un Saint français, le P. de Foucauld, par Augustin Bernard.