Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/819

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

errante, trop profondément dépaysés désormais dans les terres natales, et dont l’habitation est cachée aux environs d’Alger ou d’Oran, dans une villa sous les pins, où ils entendent encore le bruit du vent qui vient du Sud, et reçoivent la visite des jeunes, leurs successeurs, les heureux, qui frappent à la porte, et disent : « Bonjour, mon commandant ! J’arrive du Bled ! »

Sa démission donnée, Charles de Foucauld suivit le premier conseil de sa vocation, qu’avaient décidée les manœuvres autour de Sétif, les récits des vieux Africains, la découverte d’un peuple nouveau, la guerre enfin contre le partisan : il ne quitterait pas l’Afrique sans l’avoir étudiée, il serait homme d’action. Que ferait-il donc ? Une des choses les plus difficiles qui fussent : il entreprendrait d’explorer le Maroc, pays fermé, défiant de l’étranger, cruel dans ses vengeances, mais si voisin de nos côtes, si manifestement destiné à compléter notre domaine, qu’on était sûr, en le parcourant, d’aider la France de demain. Il vint à Alger. Ressaisi par ce besoin de savoir qu’il avait servi, jusque-là, sans méthode, il s’enferma dans les bibliothèques, prit des leçons d’arabe, et se mit en relations avec les hommes qui pouvaient le préparer à une entreprise audacieuse comme celle qu’il voulait faire.

L’un de ceux-ci, le plus utile peut-être, une des figures les plus connues de l’ancien Alger, s’appelait Oscar Mac Carthy. C’était un tout petit homme, « aussi brun qu’un homme blanc peut l’être, aussi maigre que peut l’être un homme en santé » [1], qui portait les cheveux coupés ras et la barbe longue, et que les Arabes nommaient tantôt : « l’homme à la grosse tête » ; tantôt : « l’homme au canon de fusil. » Ce second surnom lui venait de l’habitude qu’il avait en voyage de suspendre à son épaule, en bandoulière, un grand baromètre enfermé dans un étui de cuir. Autrefois, Mac Carthy avait eu le projet de traverser le Sahara, et de gagner Tombouctou. « Il ne se mit jamais en route, mais le biscuit préparé pour cette expédition existait encore vingt ans après, et Mac Carthy parlait toujours de son prochain départ. » [2] Du moins connaissait-il

  1. Eugène Fromentin. Dans Un été dans le Sahel, Fromentin parle souvent de son ami Louis Vandell, qui n’est autre que Mac Carthy.
  2. Un Saint français, le P. de Foucauld, par Augustin Bernard. Paris, Plon, 1917.