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Il était là, loin des siens, inutile, lorsque la nouvelle lui vint de l’insurrection de Bou Amama, dans le Sud-Oranais. Le 4e chasseurs allait faire campagne ; ses camarades allaient se battre. Le sang de France parle plus haut que tout le reste. Aussitôt, le lieutenant écrit au ministre de la Guerre. La lettre portait qu’il ne pouvait supporter la pensée que ses camarades seraient à l’honneur et au danger, tandis que lui-même n’y serait pas, et que, pour rejoindre son régiment, il acceptait toutes les conditions qu’on lui imposerait.

La demande fut accordée. Foucauld repartit pour l’Algérie. Un événement inattendu l’avait réveillé. L’idée de sacrifice était rentrée dans cette âme. Elle est génératrice de toutes les noblesses. Charles de Foucauld n’était pas plus croyant que la veille, mais la force qui fait les chrétiens s’était affirmée en lui. Puisqu’il s’était offert pour la France, il s’était rapproché de Dieu, qui reconnaît son Fils dans le sacrifice des hommes, et s’émeut à sa vue.

Un marabout indigène, Bou Amama, des Oulad Sidi Cheikh, agitait les tribus et prêchait la guerre sainte dans le Sud-Oranais. La campagne contre le partisan fit apparaître la première esquisse du personnage définitif que sera Charles de Foucauld. Dans ses Étapes de la conversion d’un houzard, le général Laperrine, qui était de l’expédition et pouvait juger son camarade, écrit ceci : « Au milieu des dangers et des privations des colonnes expéditionnaires, ce lettré fêtard se révéla un soldat et un chef ; supportant gaiement les plus dures épreuves, payant constamment de sa personne, s’occupant avec dévouement de ses hommes, il faisait l’admiration des vieux mexicains du régiment, des connaisseurs. Du Foucauld de Saumur et de Pont-à-Mousson, il ne restait plus qu’une mignonne édition d’Aristophane, qui ne le quittait pas, et un tout petit reste de snobisme, qui l’amena à ne plus fumer, le jour où il ne lui fut plus possible de se procurer des cigares de sa marque préférée. »

Un des anciens soldats qui ont poursuivi Bou Amama me racontait qu’un jour, après une grande étape, le lieutenant de Foucauld, voyant que les hommes, épuisés de chaleur, allaient se précipiter vers le puits, se porta rapidement en arrière, acheta à la cantinière une bouteille de rhum, et revint en disant : « Ce que je suis content de l’avoir, ma bouteille, pour